«Les gens veulent se surprotéger contre toute injustice dont ils pourraient être victimes» Yves Gerber, porte-parole du TCS
Dans la rue, au supermarché, lors d’un retrait au bancomat, dans les trains, les caméras sont partout. La nouveauté, c’est qu’elles font désormais une incursion remarquée dans l’habitacle des voitures. Pour moins de 100 francs, il est possible de s’en acheter une et de transformer son automobile en système de surveillance sur roues. Et le succès est au rendez-vous: «L’offre en matière de caméras embarquées ne cesse de croître depuis quelque temps, remarque Frank Miller, directeur des sites suisses Intova et Topadeal, nous avons décidé de suivre le mouvement et nous proposons divers modèles spécialement destinés aux automobilistes. Ces dashcam peuvent être utiles pour retracer le scénario d’un accident.»
Un outil détourné
Le problème, c’est que leur utilisation première est régulièrement détournée à des fins nettement moins louables. Stéphane, jeune quinquagénaire et directeur de sa propre société de conseils financiers, a décidé de ne plus se laisser faire sur la route: «Je suis tous les jours sur l’autoroute, car j’habite à Préverenges et j’en ai eu marre des dépassements par la droite, des appels de phares, des menaces. Maintenant, je filme tout avec ma caméra et je dénonce systématiquement les chauffards. Ras-le-bol!»
Un comportement qui n’est de loin pas isolé. Pour Yves Gerber, porte-parole du TCS, cette nouvelle mode est le miroir de l’époque: «Nous constatons une augmentation du nombre de caméras embarquées, qui répond clairement à une tendance sociologique: les gens veulent être témoins de leur quotidien, le partager sur les réseaux sociaux et se surprotéger contre toute injustice dont ils pourraient être victimes.»
Que dit la loi?
Initialement utilisées pour se disculper en cas d’accident, les dashcam ont donc trouvé une nouvelle utilisation qui se répand comme une traînée de poudre en Suisse romande. D’un point de vue législatif, il règne encore un certain flou. Yves Gerber le concède: «L’utilisation abusive de caméras embarquées peut consister en une infraction à la protection de la personnalité. Bien qu’aucune loi ne l’interdise, ces caméras posent aussi d’évidents problèmes pour la protection des données.» Sur le plan juridique, les images captées peuvent faire office de preuve. Un chauffeur a récemment été condamné à une amende de 1000 francs et à 40 jours-amendes pour avoir collé de trop près un autre automobiliste entre Viège et Sierre.
Infraction grave
Reste que les dashcam ne font clairement pas l’unanimité. Pour Hanspeter Thür, préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, il convient d’en limiter leur usage: «Aucune personne ne doit être reconnaissable sur ce genre d’enregistrements, qui, de ce point de vue, restent problématiques même s’ils sont réalisés afin de collecter des preuves. Nous insistons sur le fait que l’utilisation de caméras embarquées sur la voie publique est, de manière générale, contraire aux principes de transparence et de proportionnalité, dès lors que les enregistrements permettent d’identifier les personnes filmées. Ces infractions sont considérées comme graves et ne peuvent dès lors être justifiées que par un intérêt privé ou public prépondérant.» Un autre danger est de voir la preuve se retourner contre le plaignant comme le souligne Philippe Jaton, porte-parole de la Police cantonale vaudoise: «Il arrive que des personnes dénonçant d’autres automobilistes ont elles-mêmes commis des infractions. Cette démarche peut donc être contre-productive.» Contre-productive peut-être, mais de plus en plus courante…