«Cela fait environ cinq ans que les trains sont des cibles clairement visées par les terroristes» » Jean-Paul Rouiller, directeur du Geneva Center for Training and Analysis of Terrorism (GCTAT)
ll suffit de prendre le train entre Lausanne et Genève pour en faire le constat: l’attentat du Thalys est encore dans tous les esprits. Plus de dix jours après l’attaque, Mathias Balma, un analyste financier de 32 ans, habitué du trajet, ne voyage plus comme avant. «Cela m’a profondément touché, car je prends le train deux fois par jour pour des raisons professionnelles. Du coup, je n’arrive plus à lire, je scrute les gens qui montent dans le wagon. C’est certainement inutile, mais c’est vraiment plus fort que moi.»
A l’image de Mathias, de nombreux passagers ont encore en tête ce qui s’est passé le vendredi 22 août dernier. Ce jour-là, Ayoub El Khazzani, un jeune Marocain de 25 ans, monte à Bruxelles dans le train Thalys reliant Amsterdam à Paris. Avant que le convoi ne reparte de la capitale belge, l’islamiste présumé, armé d’un fusil d’assaut AKM, d’un pistolet automatique et d’un cutter, s’enferme dans les toilettes. Il ressort torse nu, son fusil en bandoulière. Après avoir tiré à plusieurs reprises, il se fait finalement maîtriser par deux militaires américains présents dans le wagon.
Un tel scénario peut-il se produire en Suisse? Jean-Paul Rouiller, directeur du Geneva Center for Training and Analysis of Terrorism (GCTAT), n’écarte pas cette éventualité: «Cela fait environ cinq ans que les trains sont des cibles clairement visées par les terroristes. Ce qui est arrivé dans le Thalys ne m’a pas vraiment étonné et cela pourrait arriver dans notre pays. Près de 200 résidents suisses ont rejoint l’Etat Islamique, l’un de ceux-là pourrait très bien revenir, décidé à commettre un carnage sur le sol helvétique.» Ceci d’autant plus qu’il est très facile de mettre sur pied ce type d’opérations. «Il suffit d’un homme déterminé, de quelques armes et d’un titre de transport», précise Jean-Paul Rouiller. «Et, comme ce fut encore le cas, le retentissement médiatique est toujours maximal.»
Le statu quo
Lors de chaque attentat, l’idée d’un renforcement du dispositif sécuritaire revient au premier plan. Portiques de sécurité, présence policière accrue, installation de nouvelles caméras, les possibilités de limiter la menace sont nombreuses. Du côté des CFF, on assure prendre cette menace très au sérieux. «Nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités fédérales de surveillance, précise la porte-parole Donatella Del Vecchio. Pour l’instant, nous n’avons pas prévu de renforcer l’infrastructure sécuritaire en installant, par exemple, un système de contrôle des bagages. Cependant, nous sommes en train d’évaluer la situation et nous prendrons des décisions si nécessaire. L’événement du Thalys n’a pas changé notre vigilance.»
Au niveau fédéral, l’organe en charge d’alerter les CFF en cas de menace imminente est le Service de renseignement de la Confédération (SRC). Malgré les attentats à répétition de ces derniers mois, la stratégie consiste également à ne pas s’alarmer suite à l’attaque perpétrée par Ayoub El Khazzani: «Le SRC est responsable de l’évaluation de la situation de la menace en Suisse», rappelle Carolina Bohren, responsable communication.
«Le degré de menace pour la Suisse est considéré comme élevé depuis les attaques terroristes aux Etats-Unis en 2001 et le développement rapide de l’Etat Islamique en 2014.»
Cette attitude d’attentisme généralisé est-elle inquiétante? Selon Jean-Paul Rouiller, il y a une explication presque mathématique. «Deux attitudes sont possibles, soit on décide que les désagréments engendrés par des portiques de sécurité sont plus importants que le risque encouru, soit on se lance dans la course sécuritaire. Apparemment, les CFF ont choisi la première option. Mais en cas d’attaque, je peux vous assurer qu’un contrôle des bagages sera immédiatement mis sur pied. Ils n’auront, à ce moment-là, plus le choix.»