«Il y a une conjoncture difficile et surtout une fiscalité qui étouffe les commerces.» Claude Jutzi, directeur de Bucherer et président de l’association des commerçants de la rue de Bourg et de Saint-François
En septembre prochain, Cartier fermera sa boutique lausannoise pour se concentrer sur son espace genevois. Ce départ est-il le début d’un exode plus important? La question est sur toutes les lèvres et les réponses obtenues lors de notre enquête ne sont pas des plus réjouissantes. Anthony (*), vendeur expérimenté au sein d’une boutique de luxe lausannoise, ne cache pas son angoisse: «J’ai des collègues qui ont déjà envoyé leur CV à Genève ou Paris, car ils sentent bien qu’à Lausanne le vent tourne et que nous risquons de fermer du jour au lendemain. L’ambiance est tendue et les clients se font de plus en plus rares, nous le constatons chaque jour.»
Le franc fort
Les raisons sont à chercher du côté de la force du franc, mais aussi d’une stagnation du pouvoir d’achat de la clientèle locale: «Je sais qu’une autre enseigne active dans le luxe va remplacer Cartier, assure Claude Jutzi, directeur de Bucherer et président de l’association des commerçants de la rue de Bourg et de Saint-François. Je ne peux encore la citer, mais cela ne me suffit pas à me rassurer totalement. D’autres enseignes nous ont fait part de difficultés comme Ausoni. Il faut savoir que les produits de luxe sont les premiers que les gens biffent sur leur liste d’achats quand les temps sont durs. A Lausanne, on séduit moins les clients qu’à Lucerne ou Berne, il manque une volonté de suffisamment développer le secteur.»
Pour les commerces de luxe, comme pour les autres, Claude Jutzi dénonce également une fiscalité écrasante et des charges toujours plus importantes. Au point de déclarer: «A force de tirer sur la corde, les élus nous poussent à vivre au jour le jour, ce n’est vraiment pas facile.»
Des causes structurelles
Moins facile qu’il y a quelques années en tout cas. Le joaillier Pierre Grumser est parti de la rue de Bourg en 2010 et se souvient des belles années lausannoises: «J’ai fermé ma boutique après 53 ans de travail, cela n’avait rien à voir avec la conjoncture. Je n’avais tout simplement pas de successeur. Si Cartier a décidé de s’en aller, c’est qu’ils ont fait d’énormes frais dans leur boutique de Genève, tout simplement.» Il y aurait donc aussi une raison structurelle qui explique le départ imminent de la marque. En effet, depuis que le secteur du luxe s’est structuré en grands groupes, la rentabilité est devenue la première préoccupation. Les mastodontes LVMH, Kering et Richemont (propriétaire de Cartier), sont cotés en bourse et doivent donc satisfaire l’appétit de leurs actionnaires. Avec les conséquences fâcheuses que ce type de stratégie provoque.
Mauvais pour l’image
«C’est évident que l’image de Lausanne en prend un coup, déplore Steeve Pasche, directeur de Lausanne Tourisme. Mais il est encore trop tôt pour savoir si l’exode va se poursuivre. Je ne l’espère évidemment pas.» On se demande cependant comment le secteur du luxe pourra remonter la pente à Lausanne. Anthony n’y croit pas vraiment. «Nous n’avons quasiment jamais de touristes chinois, russes ou du Moyen-Orient, et ce sont eux qui dépensent le plus dans ce type de boutiques. Je pense que nous ne sommes qu’au début d’une longue suite de départs.»
* nom connu de la rédaction