Mourir pour coûter moins cher?

- Docteur en médecine, le Biennois Henri Siegenthaler se bat depuis des années pour le droit à un traitement équitable des cas lourds et onéreux.
- Dans un ouvrage polémique, il pointe les dysfonctionnements des systèmes de santé et le rôle des assureurs qui devraient être plus contrôlés.
- Il invite à s’opposer à une politique médicale qui prône l’exclusion et nous pousse tous, un jour, au risque d’être euthanasiés.

  •  Henri Siegenthaler estime que les assureurs devraient être soumis à plus de contrôles. dr

    Henri Siegenthaler estime que les assureurs devraient être soumis à plus de contrôles. dr

«Le médecin est tiraillé entre l’obligation de diligence envers son patient et le risque d’être rançonné »

Lausanne Cités: votre ouvrage est avant tout un constat, celui qui consiste à dire que la médecine moderne a fait d’énormes progrès ces trente dernières années, mais que ceux-ci se heurtent aujourd’hui de plein fouet à des appétits financiers et à une politique de rendement à tout prix ...

Henri Siegenthaler: Le médecin doit chronométrer minute par minute sa consultation. En présence du patient, il doit garder constamment en mémoire la norme des coûts à ne pas dépasser. Un indice conçu par les assureurs .

C’est une moyenne calculée exclusivement sur les coûts d’une cohorte de médecins, sans tenir compte de l’efficacité des traitements, ni des besoins des malades ni de l’ampleur de leur maladie.

... Alors que le patient, quel qu’il soit, est avant tout une personne...

Oui. Le médecin se trouve en présence d’une personne avec des symptômes qui l’angoissent, difficiles à exprimer avec des mots, qui se sent soudain seule et dépendante.

Reste que si la médecine a fait d’énormes progrès, elle a aussi, selon vous, mal évolué en ce sens que les médecins sont soumis aujourd’hui à de terribles pressions, notamment d’ordre financier ...

Les assureurs contrôlent si le médecin applique son indice de sélection. Celui qui traite des cas de routine s’en tirera bien. Celui qui s’occupe des cas complexes et chers sera gravement sanctionné.

Des pressions qui créent une véritable discrimination. En quoi?

Environ 20 % des patients sont des cas chroniques, rares, polymorbides et chers. Ils causent entre 60 et 80 % des coûts. Ils grèvent le budget des assureurs. Ce sont des «mauvais risques». Ils font aussi grimper l’indice du médecin. Qui va dès lors les prendre en charge et avec quel empressement?

Dans ce cadre-là, les patients âgés, notamment, sont clairement discriminés, car devenus ces «mauvais» risques»?

Oui, mais pas seulement! Défavorisés par la nature, certains sont dès la naissance ou leur jeunesse, affectés d’une maladie qui durera une vie entière et à laquelle s’en ajouteront d’autres. D’autres collectionnent avec le temps plusieurs maladies et deviennent multimorbides Ils coûtent plus qu’ils ne rapportent à l’assureur. Ils deviennent une menace pour le médecin qui les prendra en charge.

Des «mauvais» risques dont on cherche à se débarrasser?

Comment expliquer différemment cette invitation à changer d’assureur, dont profitent 600’000 assurés chaque année, pour des prestations semblables et avec un coût administratif énorme?

Dans la société vieillissante qui est la nôtre, ce constat fait plutôt peur, d’où le titre un peu provocateur de votre ouvrage?

L’âge venant, pour garder sa mobilité, son indépendance, sa vie, on a besoin d’interventions médicales . Elles sont à disposition, sont efficaces et coûtent cher. Qui en sera exclu et quelle sera sa fin?

Cette discrimination ne viole-t-elle pas plus généralement le principe d’égalité de traitement pour tous?

Absolument, le médecin est tiraillé entre l’obligation de diligence envers son patient et le risque d’être sanctionné. Il est invité à faire un choix pénible.

Qui sont, à vos yeux, les responsables de cette situation? Les caisses maladies, les pouvoirs publics, voire les tribunaux qui, écrivez-vous, ne recherchent dans leurs jugements ni le droit ni la raison ni la justice et encore moins le bien?

La loi qui concerne les droits des malades est bonne. Mais elle est détournée de son esprit et de l’intention du législateur par les assureurs qui détiennent le monopole du contrôle utilisé par les tribunaux.

Alors que faire pour retrouver un juste équilibre?

On doit parvenir à accepter les coûts liés aux besoins médicaux qui évoluent en tenant compte de la morbidité des patients et en réduisant les dépenses étrangères. Le contrôle des médecins ne peut appartenir aux seuls assureurs, et ceux ci doivent être contrôlé par un organisme qui regroupe tous les partenaires de la santé.

«Serons-nous tous euthanasiés», Henri Siegenthaler, Editions Cabédita.