La face cachée de la prostitution lausannoise

- La Municipalité de Lausanne veut réduire la zone de prostitution dans ses rues. 
- Si la prostitution de rue est la plus visible, elle représente une part largement minoritaire du marché. 
- Les travailleuses et travailleurs du sexe qui officient dans des hôtels, à la maison ou dans des salons constituent la plus grande part du marché. 

« Le grand public a une image totalement fausse de la prostitution. Il pense souvent qu’elle se cantonne à ce qu’il voit dans la rue. Pourtant, la majorité de l’activité ne se déroule pas du tout ainsi et les filles sont confrontées à des problèmes tout à fait différents.» Ces propos émanent d’Amandine*, une jeune Suissesse qui se prostitue de manière indépendante à Lausanne depuis quelques années. Après avoir vécu une horrible agression (voir encadré), elle s’engage désormais pour que ses collègues puissent avoir une meilleure protection et qu’elles ne soient pas stigmatisées.

Lancer le débat

«Il est vrai que la prostitution de rue est la plus visible dans tous les sens du terme et qu’elle pose des questions politiques très larges qui vont de l’urbanisme à la sécurité. Dès lors, elle est au cœur du débat public alors que, c’est vrai, elle n’est pas majoritaire», reconnaît Léonore Porchet, présidente des Verts lausannois et rapporteuse de la commission sur la prostitution au Conseil communal. La problématique de la prostitution en hôtel ou en salon est en effet absente du débat public, aucune proposition politique n’étant venue esquisser une ébauche de prise en charge du problème.

Pourtant, avec des intermédiaires qui ont pris l’habitude de garder 40% des recettes de celles qui travaillent dans leurs salons, il y aurait matière à lancer un débat plus large.

Une simple recherche sur les sites d’annonces permet de voir l’ampleur de cette offre. Plus de 400 annonces y sont publiées par semaine, rien que sur la région lausannoise.

Avec la réduction de la zone prévue pour la prostitution à Lausanne, le monde associatif et une partie des politiciens se sont inquiétés des risques d’isolement que cela pouvait occasionner aux travailleurs du sexe. Repoussées en périphéries, les personnes exerçant ce métier seraient plus isolées et donc plus exposées à des situations à risques, sans pouvoir appeler au secours en cas de besoin.

Les mêmes risques

Pourtant, c’est exactement ce qu’une bonne partie de celles et ceux qui se prostituent de manière indépendante vivent d’ores et déjà au quotidien. « Puisque la loi interdit de recevoir des clients dans une chambre d’hôtel ou chez soi, nous sommes obligées de nous faire arnaquer dans des salons ou des bars alibis, voire de prendre des risques importants en nous rendant chez les clients ou dans leurs chambres d’hôtel», détaille Amandine. Et, il est vrai qu’entre discours misérabiliste ou purement moral, peu de solutions constructives sont politiquement proposées pour gérer la prostitution. C’est pourquoi l’association «Fleur de pavé» serait en train de travailler sur une proposition de projet de loi, notamment afin de protéger davantage la prostitution indépendante. «Je crois qu’il serait temps que l’on propose même un bâtiment soutenu par la ville pour accueillir les travailleurs et travailleuses du sexe, mais j’ai bien peur qu’une majorité politique sur ce sujet soit difficile à constituer», conclut Léonore Porchet.

Un témoignage inquiétant

Afin de démontrer les risques que les prostituées indépendantes encourent, Amandine raconte:

«Il y a 4 ans j ai eu rendez-vous avec un homme. Après un café dans un lieu public, nous sommes allés chez lui dans sa résidence secondaire. Tout s’est très bien passé, c’était un homme intelligent, un bon boulot, en couple... Il était entré en contact avec moi via une petite annonce dans laquelle je précisais mes prestations et spécifiais ce que je n’étais pas d’accord de faire comme pratiques. J’avais donc bien dis que je ne faisais ni fellation nature, ni sodomie, ni éjaculation faciale. Nous nous sommes revus plusieurs fois. À notre troisième rencontre, il m’a attachée aux quatre coins du lit et m’a bandé les yeux, puis il m’a sodomisée, il a mis son sexe dans ma bouche sans préservatif et a éjaculé dans ma bouche et sur mon visage. Par la suite j ai porté plainte, mais le procureur a classé l’affaire; je n ai jamais été entendue, ni par lui, ni par la police.»