La guerre de la drogue repart à Lausanne

- Dans un préavis déposé au début de l’été, la Municipalité a défini les contours de sa politique en matière de drogue.
- Espace de consommation controlée et jobs de réinsertion pour les toxicomanes sont au menu.
- Frontalement opposée à la politique d’Oscar Tosato, l’Association romande contre la drogue menace de lancer un référendum.

  • La guerre de la drogue repartà Lausanne

    La guerre de la drogue repartà Lausanne

  •  FRANÇOISE LONGCHAMP • Membre de l’Association romande contre la drogue

    FRANÇOISE LONGCHAMP • Membre de l’Association romande contre la drogue

  • Le Municipal Oscar Tosato. dr

    Le Municipal Oscar Tosato. dr

«Aider les familles»

OSCAR TOSATO • Depuis plusieurs années, le Municipal Oscar Tosato porte la politique de la Ville en matière de drogues.

L’Association romande contre la drogue annonce un référendum en cas d’acceptation du préavis par le Conseil communal.

Toute décision prise par l’autorité politique est susceptible de faire l’objet d’un référendum, c’est un droit démocratique. Mais j’espère vraiment qu’on saura les convaincre de ne pas le lancer. Je rappelle que la population lausannoise s’est déjà exprimée lors d’une votation successive à celle du local et a massivement accepté la politique des 4 piliers proposée par la Confédération.

Sauf qu’il y a 9 ans, les Lausannois rejetaient déjà le principe d’un local d’injection.

Tous les opposants n’étaient pas contre le principe! La nouvelle proposition prend en compte les éléments qui ont généré des incertitudes et fait pencher la balance. Nous avons indiqué le nombre de places prévues, l’endroit où se situera le futur Espace de consommation contrôlée, les partenaires du projet... J’ajoute qu’il s’agit d’une expérience pilote de trois années appelée à être évaluée. Aujourd’hui il est de ma responsabilité de proposer à la Municipalité et au Conseil communal l’ouverture de cet espace Il y a tant de familles qui me disent: «Il faut faire quelque chose, nous avons besoin d’une structure d’accueil qui nous décharge un moment!»

Sur quelle base jugez-vous judicieuse la mise en place d’un tel espace?

Les autorités doivent lutter contre l’exclusion et la marginalisation des personnes dépendantes et veiller à la tranquillité et à la sécurité de tous. Des études menées dans toutes les villes où des dispositifs similaires ont été proposés aux toxicomanes, y compris les 8 villes suisses qui se sont engagées dans cette voie - des villes de droite comme de gauche je le rappelle -, ont montré une amélioration de la situation sur l’espace public. Or à Lausanne, l’absence d’espace de consommation a des conséquences négatives claires autant en termes de nuisances pour la population, qu’en termes de prise en charge médicale socio-sanitaire des toxicomanes.

On reproche au projet le manque de dispositifs de reconstruction pour les toxicomanes.

Le projet que nous proposons comprend non seulement des dispositifs socio-sanitaires mais également des mesures qui conduisent les toxicomanes vers des processus d’autonomisation et de valorisation. Le préavis prévoit ainsi de financer la fondation Mère Sofia pour la mise en place d’un programme de jobs à seuils adaptés.

Pour l’Association romande contre la drogue, ces mesures sont insuffisantes...

La réalité c’est qu’on nous reproche de ne pas nous investir dans la prise en charge des toxicomanes dans le cadre de foyers thérapeutiques résidentiels. Or cette tâche relève des cantons et de la Confédération.

Enfin, sur le plan éthique, l’Association déplore la posture d’un futur «État dealer»...

Les processus qui permettent de quitter la dépendance sont différents pour chaque individu. Il faut permettre à chacun de les vivre à son rythme, faute de rechutes douloureuses. L’association prône que l’abstinence doit être la base fondamentale de toute prise en charge de la toxicomanie. Si cela suffisait, cela se saurait, ici comme ailleurs. Il faut travailler ensemble et ne pas opposer les modèles.

Et si le référendum aboutissait et était gagné? Ce serait un retour à la case départ, à la situation actuelle.


«Un local sans projet derrière»

FRANÇOISE LONGCHAMP • Membre de l’Association romande contre la drogue, elle annonce un référendum contre le projet de la Municipalité.

Vous envisagez de lancer un référendum contre le projet piloté par le Municipal Oscar Tosato. Pourquoi?

Tout d’abord, ce nouveau projet, qui n’est pas très différent du précédent, contrevient à la volonté populaire des Lausannois qui, par 54.6% des voix, s’étaient exprimés en 2007 contre l’ouverture d’un local d’injection! De petits jobs seront proposés aux toxicomanes, ce que nous avions nous même suggéré à l’époque. Je suis d’ailleurs heureuse de voir que la Municipalité se rende compte aujourd’hui que c’est bel et bien possible!

Cela devrait donc vous satisfaire...

Non car si ces jobs consistent seulement à ramasser des seringues dans la rue, cela n’ira pas. Le préavis actuel ne va pas assez loin car en réalité, il faut agir résolument pour redonner aux toxicomanes l’estime d’eux-mêmes comme on le fait dans d’autres cantons. L’objectif, c’est qu’ils puissent retrouver un but dans leur vie, plutôt que de s’approprier la rue comme lieu de vie. L’approche psychiatrique est peut-être, pour certains, importante, mais l’estime de soi l’est tout autant. Le toxicomane doit pouvoir réaliser qu’il est capable de faire quelque chose de bien.

Le projet de la Municipalité n’est donc pas suffisant à vos yeux?

La politique actuellement proposée sous -entend qu’un toxicomane grave ne s’en sortira jamais. On se contente de lui offrir un lieu d’injection propre, mais derrière, il manque tout ce qui est reconstructif. Ainsi, dans le canton, il n’y a aujourd’hui plus d’institution dont l’objectif est d’aider le toxicomane à aller vers l’abstinence. Aucun suivi n’est donc proposé à la personne qui passerait dans le local d’injection et qui prendrait la décision d’arrêter de se droguer.

Donc le local d’injection n’est pas une option satisfaisante?

Non. Tout cela n’est qu’un voile pudique que l’on jette sur la situation des toxicomanes ainsi que sur les récriminations, certes justifiées, des commerçants. On leur propose à peine une demi-heure pour faire leur injection et discuter. Si on fait le calcul, un toxicomane ne pourrait se faire son injection que 70 fois par an. C’est très insuffisant, et après, où va-t-il? Où fera-t-il sa prochaine injection? Et les dealers: ce lieu ne sera-t-il pas attractif ?

Donc vous irez au référendum, c’est sûr?

Aucun doute là-dessus, si le préavis est adopté par le Conseil communal. D’autant plus que l’Association romande contre la drogue a aussi une opposition de principe: la drogue est toujours illicite en Suisse. Quel signe donnons-nous à nos jeunes si les pouvoirs publics financent un lieu où les toxicos pourront venir s’injecter des produits acquis illégalement? On assiste à un mécanisme infernal dans une perspective évolutive qui est celle de la banalisation de la drogue. L’État devient un État dealer qui tend toujours plus vers la tranquillité du toxicomane au lieu de viser l’abstinence et la réhabilitation.

Pensez-vous gagner ce référendum?

Nous sommes déjà en train de le préparer et nous avons bon espoir. N’avons-nous pas gagné le précédent il y a 7 ans avec plus de 56% des voix?

Maîtriser les risques

Dans son préavis 2016/41, la Municipalité précise les contours de sa politique communale en matière de drogues, reconnaissant que l’objectif d’une «ville sans drogue» n’est pas atteignable dans le contexte actuel. La Municipalité se reconnaît donc dans la vision d’une ville dans laquelle les risques liés à la consommation de drogues - pour les consommateurs vulnérables et pour la population en général - sont maîtrisés, d’une part, et d’une ville qui contribue à l’insertion des consommateurs vulnérables, d’autre part. Deux projets-pilotes sont ainsi privilégiés: l’ouverture d’un espace de consommation sécurisé dont la gestion sera confiée à la Fondation ABS et le développement d’un programme d’insertion sur la base de «jobs à seuils adaptés».