Retraite des conseillers d’Etat: un privilège d’Ancien Régime?

  • Vaud offre des retraites généreuses à ses anciens conseillers d’Etat.
  • Malgré une réforme en 2007, les rentes à vie sont maintenues.
  • Des voix s’élèvent pour adopter un régime plus «adapté à la réalité du moment».

  • Mettre fin aux rentes à vie? Un débat populiste ou un questionnement démocratique? Dr

    Mettre fin aux rentes à vie? Un débat populiste ou un questionnement démocratique? Dr

«Les règles en vigueur actuellement en termes de pensions semblent de nature à éviter tout abus»

Alberto Mocchi, président des Verts vaudois

«Votez pour moi, ou sinon vous allez devoir me payer une retraite à vie!» Tel est en substance, l’argument développé - en ultime recours il y a quelques semaines -, par le conseiller d’Etat valaisan sortant Oskar Freysinger pour convaincre les électeurs de lui accorder leurs suffrages. La suite est connue et le tribun UDC a été renvoyé à la maison - avec sa rente - par les Valaisans.

Pour anecdotique qu’il soit, l’événement a le mérite de poser une question clé, à un moment où les Vaudois s’apprêtent à élire leur nouveau Conseil d’Etat. Est-il légitime pour les élus de notre exécutif de bénéficier de retraites aussi avantageuses, à l’heure où le simple pékin est soumis à un régime de prévoyance normal, où une simple augmentation de l’AVS de 70 francs suscite des débats sans fin et où la rémunération de nos 2e piliers est sans cesse revue à la baisse?

Système en vigueur

Suite à l’affaire Pierre Chiffelle, démissionnaire pour raison de santé en 2004, le Grand Conseil vaudois a révisé il y a 10 ans le système de retraites des conseillers d’Etat, prévoyant que les bénéficiaires rétrocèdent leur rente si leur revenu futur devait dépasser celui d’un conseiller d’Etat ainsi que d’autres restrictions. Il n’empêche, ils sont aujourd’hui 16 anciens magistrats cantonaux à bénéficier d’une rente à vie dans le canton.

Interpellés individuellement sur cette problématique, les conseillers d’Etat sortants et candidats à leur réélection ont préféré répondre collectivement, en bottant en touche: «Les règles sur la prévoyance des membres du Conseil d’Etat relèvent du Grand Conseil, qui a apporté des correctifs au système en 2007 (...) écrivent-il. S’agissant des règles qui les concernent directement, les membres du Conseil d’Etat ne sont pas les mieux placés pour juger de la question d’une nouvelle réforme dans le champ de compétence du législateur. L’appréciation sur l’équité de ces règles et les comparaisons en la matière portent d’ailleurs toujours sur le système dans son ensemble qui englobe le régime de la prévoyance et de la rémunération».

De la langue de bois donc, pour implicitement privilégier le maintien du statu quo actuel, une option partagée par Cesla Amarelle, la candidate socialiste au Conseil d’Etat, ainsi que les Verts et le PS vaudois, ce dernier se refusant à succomber à un «populisme de bas étage».

La contestation du dispositif actuel, il faut donc la rechercher du côté des candidats «hors système». «Je suis pour une baisse des revenus des conseillers d’Etat aussi bien en fonction qu’en retraite, assène Hadrien Buclin, d’Ensemble à Gauche. Pour que les élus dans les exécutifs ne perdent pas le contact avec la réalité matérielle vécue par la majorité de la population et ne bénéficient pas de privilèges par rapport à leurs électeurs, je suis même favorable à ce que leur revenu avoisine le salaire médian, soit 6200 francs par mois.»

Guillaume «Toto» Morand n’y va également pas par 4 chemins: «Je suis pour qu’on arrête les rentes à vie car elles sont d’un autre âge».

Des positions qui pour tranchées qu’elle soient, ne règlent pas une question importante, celle de la protection de la fonction de conseiller d’Etat, une fois que son titulaire n’est plus en charge de son mandat. En clair, soustraire ce dernier au risque de conflits d’intérêt ou à la tentation du pantouflage.

Eviter la corruption

«Pour éviter la corruption durant leur mandat, explique le président du PSV Stéphane Montangero, il faut que nos dirigeants soient rémunérés correctement et qu’ils soient assurés de bénéficier par la suite de rentes raisonnables, avec des plafonnements clairs et le fait qu’ils ne touchent pas ces rentes si leur situation financière le leur permet. C’est exactement le fondement du système vaudois actuellement en vigueur».

«Les règles actuelles en termes de pensions semblent de nature à éviter tout abus, et permettent au contraire de maintenir une certaine indépendance des ministres, qui seront moins enclins à accepter des offres d’entreprises privées avec lesquelles ils auront pu collaborer lorsqu’ils étaient en fonction», renchérit le Vert Alberto Mocchi.

Reste qu’il est difficile d’imaginer qu’un conseiller d’Etat soit soumis au risque de pantouflage et aux conflits d’intérêt 10, 15 ou 20 ans après qu’il ait quitté ses fonctions.

«Gens normaux»

Le PDC Axel Marion appelle ainsi à un système plus proche des conditions des «gens normaux, plus adapté à la réalité du moment et plus acceptable par la population.»

«Je suis favorable à un système différencié selon l’âge de départ, explique-t-il. Ainsi, si les élus sortent à 55 ans ou plus, ils touchent une “rente-pont” vers la retraite de maximum 50% de leur traitement de ministre. S’ils sortent en dessous de 55 ans, ils reçoivent un “coussin” par exemple de deux ans de salaire pour se refaire. A partir de 65 ans, ils sont au régime de retraite normal (AVS, 2e et 3e pilier).»

Même son de cloche du côté de SolidaritéS qui, par la voix de Pierre Conscience, propose que les revenus des conseillers d’Etat soient considérés «comme des salaires ordinaires».

Lui-même candidat au Conseil d’Etat, le Vert libéral François Pointet conclut sur une position très proche: «un système de caisse de pension LPP normal me semblerait une bonne solution, une compensation du risque de non réélection pouvant être compensée par une augmentation de salaire, permettant à chaque Conseiller d’organiser sa prévoyance de manière personnelle.»