Mohamed Hamouche, la passion créatrice

PORTRAIT • Mohamed Hamouche est artisan-sellier. Après 43 ans de créations exclusives, il ferme sa boutique lausannoise, à la rue Beau-Séjour. Retour sur le parcours hors norme d’un Lausannois emblématique d’un métier en voie de disparition.

  • Une boutique qui ferme après près d’un demi-siècle d’activité. kottelat

    Une boutique qui ferme après près d’un demi-siècle d’activité. kottelat

  • Une boutique qui ferme après près d’un demi-siècle d’activité. kottelat

    Une boutique qui ferme après près d’un demi-siècle d’activité. kottelat

Il a travaillé pour Hermès et Louis Vuitton, a eu comme clients Yul Brynner, Gunter Sachs, des ambassadeurs, des membres éminents de la noblesse française, mais aussi un conseiller fédéral, sans compter bon nombre de personnalités vaudoises. Artisan-sellier, Mohamed Hamouche est un peu une institution lausannoise. Ses créations, sacs, bagages, porte-monnaies, cartables, ceintures, etc, sont à l’image du personnage: soignées, mais aussi pétillantes, imaginatives et généreuses et lui ont valu une réputation qui a dépassé les frontières cantonales et même suisses.

Tout a pourtant une fin: à la fin de ce mois, Mohamed ferme définitivement sa célèbre boutique de la rue Beau-Séjour. Âgé de 81 ans, l’homme qui a continué à travailler après 65 ans - «peut-on dire à quelqu’un d’arrêter d’aimer?» - va passer à autre chose. Enfin pas tout à fait. Si la boutique ferme, histoire de le libérer des contingences administratives et financières, Mohamed Hamouche garde son atelier, auquel il tient plus que tout.

Caverne d’Ali Baba

Un atelier qui telle une caverne d’Ali Baba regorge de petits trésors, et dans lequel il a passé, dans la solitude de son art, de longues années de bonheur. «J’aime à y travailler, explique-t-il, et il m’arrive aussi d’y rester assis à méditer deux ou trois heures, car c’est comme cela que l’on vit bien dans un monde où tout va trop vite». À bien des égards, la vie de cet artisan hors pair, né français, devenu algérien en 1962 à l’indépendance de son pays, puis suisse en 1987, ressemble à un roman.

Né en Algérie, plus exactement en Kabylie, à 15 km du village de la famille du célèbre footballeur Zinédine Zidane, il décroche en 1952 à Alger un certificat de formation professionnelle de bourrelier. Deux ans plus tard, il «monte» à Lyon pour y poursuivre sa formation.

L’actualité tragique de la guerre d’Algérie le rattrape et en 1956, pris dans une rafle de la police française, il est renvoyé à Alger... pour y goûter de la prison. Deux ans plus tard, il est cette fois expulsé d’Algérie, en sens inverse, en direction de la Métropole. Et c’est dans un café lyonnais qu’il croise, par hasard, un Biennois qui lui propose de le suivre en Suisse. Il passe alors dix mois à Genève, une ville qu’il n’apprécie guère, avant de rejoindre Lausanne, suite à une promesse d’embauche de la Maroquinerie Chamay. «Ils m’ont embauché, mais je n’ai plus jamais pu les rencontrer. Comme je n’avais plus d’argent pour vivre, je me suis rendu auprès de la police lausannoise. Qui a passé deux coups de fil, et je me suis retrouvé embauché ailleurs!». Un joli clin d’œil prémonitoire pour Mohamed, dont le fils deviendra, des décennies plus tard... commissaire à la police cantonale vaudoise.

Il faut dire que dans l’intervalle, Mohamed Hamouche a rencontré sa femme, une Vaudoise de Bussigny dans une boîte de nuit. S’ensuit un mariage avec une «épouse exceptionnelle», à laquelle il est uni depuis 52 ans, et qui lui a donné deux enfants.

«Drogue douce»

Et puis, faute de trouver du travail, le jeune artisan décide de se mettre à son compte et ouvre sa propre échoppe, d’abord au Rôtillon, puis à la rue Beau-Séjour. L’homme y est heureux, se fait un nom et se construit peu à peu une solide clientèle.

Le succès de sa boutique, s’il rend Mohamed très heureux, lui permet tout juste de joindre les deux bouts. «C’est un métier en voie de disparition et on ne peut pas en devenir riche, d’ailleurs je n’ai jamais perçu un vrai salaire, sourit-il. Mais que voulez-vous, on ne renonce pas à une drogue si douce! D’ailleurs, si je ferme ma boutique, c’est bien pour pouvoir continuer à créer dans mon atelier».