Une retraite amère pour Yvette

PORTRAIT • Elle était l’une des premières femmes chauffeures de taxi à Lausanne. Après 42 ans passés au volant de sa voiture, Yvette Dutoit met la clé sous le paillasson. Forcée et contrainte par une décision de justice. Une belle histoire qui finit plutôt mal!

  • Yvette Dutoit, chauffeure de taxi durant 42 ans à Lausanne. kottelat

    Yvette Dutoit, chauffeure de taxi durant 42 ans à Lausanne. kottelat

Dans le petit monde des chauffeurs des taxis lausannois tout le monde connaît Yvette Dutoit. Rien de plus normal! Depuis 42 ans, «Yvette» comme beaucoup l’appellent familièrement, est chauffeure de taxi professionnelle. Et depuis 23 ans, elle est même indépendante dans la profession, l’une des premières femmes lausannoises à l’être devenue dans la longue - et parfois agitée - histoire des taxis de la capitale vaudoise. Seulement voilà: à 71 ans, l’aventure se termine plutôt mal pour elle. Fin décembre, au terme d’une affaire qui, dit-elle, «l’a complètement écœurée», elle s’est fait retirer sa patente A.

Les aléas de la vie

La fin d’une belle et longue histoire. Celle d’une jeune femme âgée de 27 ans qui, dans les années 70, devient chauffeure de taxi un peu malgré elle et entre alors dans un monde plutôt dévolu à la gent masculine. Elle rentre tout juste d’un voyage en camping-car en Afrique qui l’a tenue éloignée de la Suisse durant quelque 8 mois. L’économie va mal. Le chômage bat son plein. Seule solution pour s’en sortir: utiliser le sésame qu’elle a obtenu lors d’un passage professionnel préalable au Service des automobiles de la Blécherette, un permis de chauffeure de taxi. Elle ne regrettera jamais son choix: «C’était là où j’ai gagné le moins, mais où je me suis sentie le mieux. La liberté, les contacts, les rencontres et, au final, la plus grande école de psychologie du monde», résume-t-elle avec émotion.

Se faire un prénom

Dans ce monde d’hommes, elle se fera un prénom et sera ensuite de tous les combats, prompte à réagir à ce qu’elle considère comme des injustices au sein de la profession ou pour exiger des mesures de protection pour les chauffeurs, alors qu’ils sont victimes d’agressions à répétition dans les années nonante. Une vraie passionaria! Puis, elle se met à son compte et, en

2010, l’âge venant, elle engage un chauffeur, avec l’espoir de pouvoir lui remettre plus tard sa patente. Mais deux ans plus tard, patatras! Yvette tombe sur la chaussée et se blesse grièvement.

Débute alors pour elle une période difficile. Arrêtée à 100% dans un premier temps, puis à 50%, elle se démène pour faite tourner sa petite entreprise. Seulement voilà: la Commisssion administrative du Service intercommunal des taxis (SIT) finit par l’épingler pour violation répétée de la réglementation. Elle lui reproche notamment «de ne pas avoir signalé son incapacité de travail», «de ne pas s’être assurée du respect des prescriptions légales concernant son chauffeur», sans compter le fait qu’il ressort «un écart important, tant durant la journée qu’en fin de journée, entre les relevés des disques tachygraphiques et les heures d’activité théoriques enregistrées par la centrale d’appels». Bref, qu’elle n’a pas effectué assez d’heures pour la centrale à laquelle elle est affiliée. Le verdict tombe: retrait de sa patente.

Yvette fait appel de cette décision. Elle conteste avoir voulu induire l’autorité en erreur concernant ses heures de travail et avoir refusé certaines courses. Elle argue de sa bonne foi, produit des certificats médicaux. Mais rien n’y fait. Le SIT maintient sa décision. Yvette finit par faire recours auprès du Tribunal cantonal. En septembre dernier, il le rejette. Yvette prend acte de cette décision avec beaucoup d’amertume et le sentiment qu’on a voulu lui faire payer son passé de passionaria: «Je n’ai pas fait tout juste, peut-être, mais je n’ai jamais voulu tromper quiconque. Mon seul souhait était de continuer un peu à travailler pour assurer mes vieux jours et pouvoir remettre ma patente à mon chauffeur. »

Maigre retraite

Résultat des courses: elle se retrouve à 71 ans avec un tas de frais de justice à payer, plus de boulot et une maigre retraite de 1400 francs par mois pour vivre. «Après tant d’années d’effort, c’est bien triste, dit-elle. Mais ce qui m’attriste le plus, c’est de voir que mon chauffeur, qui n’est pour rien dans tout ça, se voit refuser dans la foulée de pouvoir bénéficier de ma patente. Après 20 ans comme chauffeur de taxi, 10 ans d’attente pour obtenir sa concession et 5 ans passés à mon service qui lui donnaient droit à la patente, je trouve cela totalement injuste!»