Blazevic, l’homme qui voit plus loin que Blatter

CHRONIQUE • L’entraîneur helvético-croate, bientôt 79 ans, a repris du service en 2e division bosnienne, avec la ferme intention de devenir immortel.

  • Miroslav Blazevic, l’immortel.... dr

    Miroslav Blazevic, l’immortel.... dr

En sport comme sur toutes les planètes jusqu’ici recensées y compris la lune, l’objectif prime. On se fixe un but et on s’escrime à l’atteindre. Pas simple, la vie? L’athlète, qu’il œuvre à bâtir son empire, à conserver son prestige ou rallumer son lustre, vit obnubilé par une cible. A l’un son tournoi du Grand Chelem, à l’autre son tremplin olympique, son Enfer du Nord ou sa Coupe du monde au Qatar. Repousser les limites, tirer des plans sur la comète, quelle que soit la couleur du liquide. Au royaume de l’épopée, c’est à qui rêvera le plus haut, le plus beau, le plus fort. 

Un personnage de roman

Et puis Miroslav Blazevic, à qui on aime penser dans les moments de doute ou de désespoir tellement il respire la vie, a parlé. Avec les pinceaux de la folie douce, cet entraîneur de foot doublé d’un personnage de roman a dessiné les contours de son nouveau défi; un challenge assez ultime à vrai dire: «Je veux dissiper les illusions de ceux qui pensent que je suis vieux», a déclaré en toute simplicité le héros croate et citoyen suisse de bientôt  79 ans - il les aura le 10 février -, au moment de prendre les commandes du Sloboda Tuzla, auguste club de deuxième division bosnienne. Devant le troquet de l’annonce, où plusieurs centaines d’admirateurs s’étaient massés. 

On avait déjà vu des sportifs sûrs de leur force, à l’image de Mister T dans «Rocky 3»; des dirigeants précis dans leur partition, gonflés à en faire craquer les coutures de leurs blazers. Mais là, c’est du massif, du suprême, de l’absolu, magnéto: «Dissiper les illusions de ceux qui pensent que je suis vieux.» 

Des objectifs élevés

Ça nous change plaisamment des habituels «on prend match après match» et des banals «il n’y a plus de petit adversaire à ce stade de la compétition». «Ciro» Blazevic, prêt à tout et peur de rien, avait déjà bousculé les frontières du rationnel en menant la Croatie en demi-finale de la Coupe du monde 1998.

Le voilà, habité par la même détermination que le gaillard qui débarqua à Moutier (BE) au milieu des années 1960 avec son sac sur l’épaule, désormais parti en croisade contre le plus redoutable des ennemis: la mortalité. 

Autant chatouiller Rafael Nadal sur le central de Roland-Garros ou jeter le gant à un peloton de chamois bourrés d’amphétamines dans l’Alpe-d’Huez. Les paroles du mage de Travnik cristallisent l’essence-même du sport, cette soif de laisser une empreinte qui jamais ne s’effacera. «Dissiper les illusions de ceux qui pensent que je suis vieux.» Cette phrase, que Roger Federer ou Sepp Blatter auraient aussi pu prononcer pour différentes raisons - surtout le second -, n’a rien d’une fanfaronnade.