«On a changé de cap, mais la situation financière d’Aquatis reste difficile»

EXCLUSIF • L’aquarium-vivarium cumule les soucis financiers. En 2022, sa perte s’est élevée à au moins 160’000 frs avant amortissement et l’exercice en cours s’annonce également déficitaire. Quelles sont les solutions pour éviter le naufrage? Les pistes de son directeur, Michel Ansermet.

  • Michel Ansermet confie ne pas compter ses heures pour remettre l’aquarium-vivarium sur de bons rails. MISSON-TILLE

    Michel Ansermet confie ne pas compter ses heures pour remettre l’aquarium-vivarium sur de bons rails. MISSON-TILLE

«En 2019, il y avait 46 employés, il n’en reste plus que 23» Michel Ansermet, directeur d’Aquatis

Lausanne Cités: Vous avez été nommé directeur en juin 2020 avec une mission très claire, celle de remettre le navire Aquatis à flot. Près de deux ans plus tard, y êtes-vous parvenu?

Michel Ansermet: On a changé de cap, c’est évident. Mon rôle a été de mettre en place une vision à long terme pour Aquatis en insistant sur la conservation, l’éducation et la vulgarisation. Avant mon arrivée, il y avait cette envie de devenir un centre scientifique, mais cela ne s’est jamais fait, nous avons plutôt opté pour devenir un lieu pédagogique.

Quelle a été la fréquentation d’Aquatis en 2022?

Nous avons accueilli 224'837 personnes sur l’ensemble de l’année.

Lors de son lancement en octobre 2017, la direction de l’époque espérait attirer 450'000 visiteurs par année, ce chiffre n’a jamais été atteint, c’est un immense échec, non?

C’était une erreur d’articuler ce chiffre. A l’époque, les dirigeants se sont basés sur une étude qui était visiblement mal ficelée car trop ambitieuse. D’autant que Lausanne n’est pas une ville qui attire deux millions de visiteurs par année.

D’autres erreurs ont-elles été commises par le passé?

Oui, comme dans tous les projets si ambitieux. Il y a, par exemple, des personnes qui ne connaissaient pas le métier qui ont été engagées. La toute première direction s’est aussi fait avoir en achetant de la machinerie qui est clairement surdimensionnée. Nous devons brider certaines pompes qui consomment énormément d’électricité car leur débit est trop important, c’est absurde. Et puis, des poissons ont été mis ici alors qu’ils n’ont rien à y faire car ils prennent trop de place au fil des années.

On va parler gros sous, quel a été le résultat d’exploitation d’Aquatis en 2022?

Nous avons essuyé une perte de 160’000 francs avant amortissement (ndlr: lire encadré).

Comment jugez-vous la situation financière d’Aquatis à l’heure actuelle?

Elle est difficile, mais en nette amélioration par rapport à l’année 2019.

Les effectifs en font-ils les frais?

Oui, en 2019 il y avait 46 employés, il n’en reste plus que 23. Comme annoncé en 2020, nous avons suivi l’exemple de plusieurs institutions zoologiques en nous appuyant sur des bénévoles passionnés.

Aquatis est-il à l’abri d’une faillite?

Non, mais nous nous battrons pour que l’on n’en arrive pas là. Vu le soutien indéfectible du groupe Boas et l’évolution de nos résultats, je suis confiant.

Quelles sont vos solutions pour sortir de cette impasse financière?

Nous devons rattraper les erreurs commises lors du lancement de l’aquarium. Et, dans le même temps, travailler sur de nouvelles sources de financement, comme le mécénat ou le parrainage. Sans oublier la taxe sur le divertissement de 14%, qui nous plombe le budget. Si on était situé cinquante mètres plus haut, à Epalinges, on ne devrait pas la payer, c’est dingue. Mais c’est ainsi alors retroussons-nous les manches. Mon vœu est d’obtenir une ristourne en proposant des packages dédiés aux écoles. C’est-à-dire une visite qui peut être suivie d’une conférence ou d’un atelier donné par un spécialiste et nos pédagogues. On doit commencer ce lobbying avec les autorités au plus vite.

Cela signifie-t-il que vous allez solliciter des aides financières auprès de la Ville de Lausanne ou du Canton de Vaud?

Bernard Russi, le président directeur général du groupe Boas, a toujours clamé qu’il ne souhaitait pas d’aides. Je ne suis pas de cet avis, mais avant d’aller demander des aides financières à la Ville ou au Canton, nous devons explorer toutes les autres voies. Et si on arrive à faire comprendre aux autorités ce que nous faisons, en matière de conservation et surtout de vulgarisation, les soutiens viendront à nous.

En 2023, serez-vous enfin dans les chiffres noirs?

A cause de la crise énergétique il faudra probablement attendre 2024. En revanche, le cashflow sera sensiblement amélioré en 2023.

Le problème d’Aquatis n’est-il pas finalement surtout lié aux tarifs élevés? Une famille de deux adultes et deux enfants de moins de quinze ans doit débourser environ 108 francs pour visiter l’aquarium, c’est exorbitant non?

Les visiteurs alémaniques ne nous parlent jamais du prix, c’est une inquiétude d’abord romande et surtout lors des premières années d’exploitation. En outre, quand on a des aquariums géants comme les nôtres, la machinerie n’est pas la même que celle d’un zoo qui propose des animaux en plein air. Depuis que nous proposons une expérience globale avec des pédagogues qui expliquent aux gens ce qu’ils voient, le prix est moins un problème.

Vous qui êtes un zoologue reconnu, un homme de terrain, est-ce que vous n’avez parfois pas envie de jeter l’éponge quand vous passez vos journées à scruter des colonnes de chiffres?

C’est assez simple, je suis sept jours par semaine à Aquatis, cinq pour mon job de directeur et deux en tant que bénévole, pour être au plus près des animaux et des visiteurs. Et il me reste peu d’années à tenir, j’ai aujourd’hui 58 ans et je pense arrêter à 62 ou 63 ans. J’ai encore des folies à réaliser.

Une étonnante opacité sur les chiffres

Durant notre entretien, Michel Ansermet nous a d’abord annoncé une perte supérieure à un million de francs pour l’acquarium-vivarium en 2022. Lors de la relecture de l’interview, le directeur d’Aquatis a ensuite rétropédalé en affirmant ne plus pouvoir nous donner un chiffre précis car il ne serait «pas impliqué dans les finances du groupe» (!). Il nous a ensuite redirigé vers l’agence AMP Communication qui est en charge des relations avec la presse. Cette dernière nous a finalement communiqué que la perte avant amortissement s’élevait à environ 160’000 francs, sans préciser le montant de ces amortissements. Ce rétropadalage sur le résultat d’exploitation d’Aquatis étonne autant qu’il inquiète...