Zlatan, le promeneur solitaire

FOOTBALL • C'était dimanche soir à Annecy, sous une pluie de sous-préfecture... Le majestueux «Ibra» y a rendu un hommage conjoint à deux Jean-Jacques, Goldman et Rousseau.

  • Zlatan, le promeneur solitaire

    Zlatan, le promeneur solitaire

Bienheureux lunaire ou fieffé menteur celui qui peut affirmer que jamais, ô grand jamais, il ne s'est emmerdé sur son lieu de travail. Il arrive par exemple au coupable de ces lignes de devoir juguler un irrépressible désir d'éteindre l'ordinateur, juste en renversant un café dessus; et de faire un frisbee avec, puisqu'il est si plat, ou bien des ricochets sur la rivière qui, contrairement à bien des écoliers de la vie, a la sagesse de suivre son cours sans quitter son lit.Bref, répondez franchement, ça peut libérer d'un poids... Qui, à l'entame d'une mièvre matinée de février, dans la touffeur d'un assommant après-midi de juillet ou alors un foutu 1er mai, oui, qui n'a jamais eu envie - besoin - de jeter l'éponge? Tirer la prise, poser la truelle, le scalpel ou la planche à pizza, rendre le tablier et prendre la porte. S'en foutre de tout et ne pas culpabiliser une seconde. Savoir s'évader. Penser à soi, comme Zlatan Ibrahimovic.

Ennui

Dimanche soir à Annecy, le Suédois s'est beaucoup ennuyé sur son lieu de travail. Lui, si grand... devoir s'abaisser à guerroyer sous une bruine haut-savoyarde, aux yeux profanes d'une assistance provinciale, contre un aggloméré de club dont le nom évoque davantage une ligne ferroviaire (Evian-Thonon-Gaillard) que les sentiers de la gloire! Prime time sur Canal + ou non, tu parles d'une mine pour pousser des wagonnets... «Ibra», pas envie. Au début, il a fait semblant. Puis il a glissé une première fois. Si, si, la vulgaire pelouse du Parc des Sports d'Annecy, théâtre de bas étage surnommé «La Cuvette», a osé infliger un croche-patte à Sa Sainte Morgue, aucun respect pour les braves.Le respect, Zlatan Ibrahimovic sait ce que c'est. Vu qu'on lui en a manqué - des adversaires lui ont même piqué le ballon... -, il a boudé.Râlé quand le service du petit personnel était trop long, distribué une ruade ou deux quand même aux asticots qui lui servaient de contradicteurs, glissé derechef satané terrain, remis en place son chignon froissé. Dans sa splendide indolence, la diva du crampon a surtout rendu un hommage conjoint à Jean-Jacques Goldman («Je marche seul») et Salvatore Adamo («Mes mains sur tes hanches»).

Raccrocher les crampons

Il fallait le voir, l'immense Zlatan qu'on aime tant car il est unique, traîner son spleen et sa carcasse. A-t-il parcouru un kilomètre durant la seconde mi-temps? Pas sûr. Une symphonie à l'immobilisme, une prestation digne du Jean-Jacques Rousseau des derniers souffles (1776-78), qui entamait ainsi les «Rêveries du promeneur solitaire»: «Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même.»A quoi Zlatan Ibrahimovic a-t-il pensé pendant qu'il n'honorait pas la bourse des spectateurs? Grâce à la chiche victoire (0-1), Paris Saint-Germain assurait quasiment son titre de champion de France. Mais le génial soliste avait d'autres soucis. Et son andouille d'entraîneur, Carlo Ancelotti, qui n'a pas eu la clairvoyance, la bonté de le sortir... Le calice jusqu'à la lie. On jurerait presque qu'il a eu envie de raccrocher les crampons, Zlatan, de tout arrêter. Il ne l'a pas fait. Peut-être parce qu'il gagne 14 millions d'euros par an.