La copie à des fins privées oui, mais…

L’ère numérique a chamboulé nos habitudes et surtout amené une question importante même si peu de gens se la posent : aujourd’hui, une grande majorité d’entre nous achetons sur internet, que ce soit des billets de concert, des vêtements (merci Zalando), des haut-parleurs, des casques et toutes sortes d’autres produits physiques. Cependant, certaines choses sont numérisées et disponibles sur le web comme des fichiers audio ou des jeux vidéo par exemple. Si rien n’est physique, est-ce que nous en sommes toujours propriétaire ? Pouvons-nous les léguer à nos héritiers ?

Pour nous aider à mieux comprendre tous ces aspects, nous avons rencontré Florian Ducommun, associé de l’étude d’avocats HDC, spécialisé dans le droit des nouvelles technologies.

 

WF : Qu’avons-nous le droit de faire ?

FD : Si nous prenons les Blu-ray Disc, DVD ou CD, selon l’art.19 al. 1, let. A LDA il est dans votre droit de les copier, que vous les ayez achetés ou empruntés. Cependant, la majorité sont protégés par des droits d’auteur virtuels.

En principe, il est interdit de contourner les mesures techniques efficaces servant à la protection des œuvres (type DRM). Toutefois, le particulier est en droit de supprimer le dispositif anticopie afin de faire sa copie privée, celle-ci étant considérée comme licite (art. 39a, al. 4 LDA). Bien évidemment, seuls les plus téméraires et ceux qui ont des notions d’informatique peuvent réussir à le faire.

 

WF : Qu’est-ce que la redevance SUISA ?

FD : La redevance sur les supports vierges est une taxe que la Société suisse pour les droits des auteurs d’œuvres musicales (SUISA) encaisse sur chaque vente de CD, DVD, lecteur MP3, disque dur, carte SD, clé USB et tout autre support vierge et qu’elle reverse aux auteurs Pour les rémunérer et compenser le manque à gagner occasionné par les copies privées.

WF : Si j’ai bien compris votre raisonnement, si j’achète mon album en version numérique sur iTunes et que je possède un ordinateur, un disque dur externe, une clé USB, un lecteur MP3 et une tablette, ça signifie que j’ai payé six fois des droits d’auteur ?

FD : En effet, cela peut paraître exagéré. Dans l’optique de la SUISA, les taxes sont en effet prélevées sur tous les supports vierges afin de dédommager les auteurs pour le téléchargement à des fins de copie privée.

 

WF : Pouvez-vous développer cet aspect du téléchargement ?

FD : L’avantage avec la Suisse c’est que vous pouvez télécharger vos films depuis internet, que ce soit sur un site officiel ou un site non officiel, communément appelé téléchargement illégal. En Suisse il n’y a aucun problème tant que cela reste pour un usage privé et que vous ne faites pas d’upload, c’est-à-dire que vous ne mettez pas à disposition (même partiellement) le fichier aux internautes pour qu’ils puissent le télécharger à leur tour. Le téléchargement par torrent qui suppose une mise à disposition de ses fichiers est donc illégal. Par contre, un téléchargement sans mise à disposition de fichiers rentre dans le cadre de la copie privée, que la source soit légale ou illégale.

 

WF : Je désire prêter ce que j’ai acheté. Est-ce légal ?

FD : Lorsqu’on parle de produits physiques, le prêt est légal tant qu’il n’y a pas de contrepartie au prêt, auquel cas cela deviendrait de la location soumise à d’autres dispositions légales. Concernant les produits numériques, le terme de prêt n’est plus valable car lorsque vous envoyez le film que vous avez téléchargé légalement par e-mail, Dropbox ou que vous le transmettez par clé USB, vous le donnez. Cela reste légal tant que ça reste dans le cercle privé et s’inscrit dans le cadre de l’exception de copie privée.

 

WF : Et si je souhaite revendre ce que j’ai acheté ?

FD : A nouveau, pour tout ce qui est physique, aucun problème car le principe dit de l’épuisement s’applique. Toutefois pour les produits numériques cela n’est pas possible car le principe de l’épuisement ne s’applique pas en matière digitale. Il est donc illégal de vendre, de louer, de mettre à disposition en VOD ou de prêter un fichier numérique.

 

WF : Et l’héritage dans tout ça ?

FD : C’est un aspect qui fait débat à travers le monde car vous n’êtes pas propriétaire de la majorité des œuvres que vous achetez en ligne. Selon les conditions générales d’iTunes, un album acheté sur cette plateforme ne vous appartient pas, mais Apple vous accorde une licence d’utilisation limitée. Vous ne possédez pas l’œuvre. Vous n’aurez donc pas la possibilité de léguer votre discothèque numérique à vos ayants droit. Pareil pour les jeux vidéo que vous achetez sur les boutiques en ligne. Vous payez le droit d’y jouer mais pas de le léguer puisque vous n’en êtes pas propriétaire. C’est en quelque sorte de la location cachée. Ce principe se retrouve pour toutes les licences de logiciels. Chacun possède un numéro de série, unique à son utilisateur, donc quand vous achetez un logiciel Office, vous allez pouvoir l’utiliser sur votre ordinateur mais vous ne pourrez pas le revendre ni le céder.

 

Petit lexique

Droits d’auteur virtuels (DRM)
DRM
pour digital rights management. Ce sont les systèmes de protection mis en place pour éviter la copie non autorisée des CD et/ou des DVD. Tant que l’on reste dans le cadre de la copie privée, il est possible de copier un DVD et de le donner à ses proches. Pareil pour les films ou les jeux vidéo. Evidemment, la vente des copies est interdite.

Torrent ?
C’est un procédé de partage de fichier qui permet de télécharger des fichiers non directement via votre navigateur internet mais via un procédé nommé peer-to-peer ou P2P, c’est-à-dire à travers des logiciels tels que BitTorrent.

Le principe d’épuisement
Selon le principe de l’épuisement, les exemplaires de l'œuvre qui ont été aliénés par l’auteur ou avec son consentement peuvent l’être à nouveau ou, de quelque autre manière, être mis en circulation (art. 12 LDA). Selon ce principe, les exemplaires de l’œuvre, CD ou DVD, qui ont été vendus par l’auteur ou avec son consentement peuvent donc être revendus à nouveau. Ce principe ne s’applique pas au numérique, car cela priverait l’auteur de ses droits en raison de la possibilité de copier le film ou la musique à l’infini.