Ces stades qui ont (encore) une âme

CHRONIQUE• Sans décor, il n’y a pas d’épopée. Mais quand le théâtre est à la hauteur du drame ou de la symphonie qui s’y jouent, la magie du sport peut opérer. C’est le cas ces jours, de Viège à Liverpool.

  • Anfield Road, le temple du football. DR

    Anfield Road, le temple du football. DR

Quand pleuvent les lauriers et fleurissent les dithyrambes, autrement dit au printemps du sport, on prend rarement la peine de rendre hommage au plancher qui a supporté tout ça, de mentionner le lustre sans qui on n’y aurait vu goutte, le papier peint qui n’en a pas manqué une miette. On se fout de ce qu’on croit accessoire - quelle erreur! Car comment concevoir une épopée sans décorum? Où camperaient les héros s’il n’existait pas de scènes pour les accueillir, de pièces pour mener huis-clos, de champ pour livrer bataille? Quid d’une Odyssée sans flotte ni navire, d’un Germinal sans charbon ou d’un John Ford sans canyon en carton-pâte, avec les longs nuages blancs qui défilent à l’horizon? Nada, foutaise.

Comme une église

Pour bien raconter une histoire, célébrer dignement un sacre ou déplorer une mise à mort à sa juste tristesse, il faut un théâtre, une arène, une église ou un terrain vague; il faut un cadre ou un lieu à la hauteur de l’événement. Voilà les pensées qu’on se faisait jeudi soir dernier, embarqués dans la soucoupe de Mestalla à Valence, pendant que le FC Bâle se brûlait les ailes et la cervelle (5-0). Mestalla, un amas de béton et d’acier dont on se demande comment il tient encore debout, un stade magique, d’un autre temps, qu’on utilise encore uniquement parce que le chantier de son successeur est à l’arrêt - on ne va pas dire que la crise a du bon, mais on peut le penser parfois.

Le fil de la passion

Bref. On cause toujours des acteurs du sport. Des vedettes. Mais les scènes, les lieux, ça compte aussi. Or, ces jours, il y en a deux qui revisitent leur propre légende avant de mourir bientôt, sublimes, chargés d’histoire et de ferveur électrique: Anfield Road à Liverpool et la Litterna-Halle de Viège. Rien à voir a priori, entre les fameux Reds, en course pour fêter un premier titre de champion d’Angleterre depuis 1990, et les hockeyeurs haut-valaisans, qui briguent (d’ailleurs c’est à côté) à la surprise générale une promotion en Ligue nationale A (3e acte ce jeudi de la série décisive face à Bienne, l’autre club qu’on se plaît à naturaliser romand les jours où il gagne). Donc a priori, rien à voir entre les millionnaires du foot briton et les bras noueux du puck alpin, entre un chaudron mythique dont la première version a poussé sur les bords de la Mersey à la fin du XIXe et une casserole croisée avec un hangar en 1979. Ben si, en fait. Entre Anfield Road et la Litterna-Halle, il y a comme un lien, un fil; celui de la passion. Les proportions divergent évidemment (45 000 fans contre 4 300 Zuschauer), le prestige aussi. Mais à l’heure de beugler son amour, de défendre son identité voire de donner un sens à la vie, de Viège à Liverpool, les flammes se rejoignent. A Anfield ou à la Litterna, on va comme dans une maison de Foi - et par les temps qui galopent, c’est rassurant. Il y a une âme.

Au risque d’endommager la leur et sur l’autel d’un avenir plus profitable, le stade des Reds et la patinoire du EHC Visp vont prochainement subir de sérieux liftings, doublés d’une capacité agrandie. Ravalons nos nostalgies futures, vivons avec notre temps, «The Show Must Go On». Mais si Viège retrouve la LNA dans les prochains jours, quelque trente ans après l’avoir quittée, si Liverpool devient champion d’Angleterre dans les prochaines semaines, quasi un quart de siècle après son ultime couronne, nous aurons le cœur en joie. Parce que tant Anfield Road que la Litterna-Halle, merveilleux théâtres de la cause sportive, auront vécu, encore une fois, peut-être la dernière, un bonheur à leur dimension.