La Formule 1, carburant du dimanche

CHRONIQUE • La discipline, dénuée de tout suspense, se borne à tourner en rond. Pourtant, le triomphe cathodique ne se dément jamais. Pourquoi diable?

  • Sebastian Vettel, l'actuel roi de la F1.

    Sebastian Vettel, l'actuel roi de la F1.

Qu'est-ce que le succès, cette indispensable chimère et, surtout, comment l'amadouer dans le sens du bulbe? On aurait pu poser cette question à deux têtes au président du Lausanne-Sport, mais cela n'aurait pas été charitable, ni de très bon goût - on ne crève pas les pneus du corbillard à la veille des funérailles. Alors on se tourne vers un autre genre de chariotes avec Bernie Ecclestone, grand timonier de la Formule 1 depuis un quart de siècle, qui saura bien nous aiguiller sur la recette magique entre sa dernière audience et sa prochaine poursuite.

Un long serpentin

Le succès, Bernie, même si la justice cherche à lui mettre des bâtons dans les roues pour des histoires de pots-de-vin, il connait. Le Britannique de 83 ans a su tirer profit maximal de la commercialisation d'une discipline pourtant assez minimaliste quand on y songe: vingt-deux tutures sur la ligne de départ, autant de champignons sur lesquels appuyer très fort, un long serpentin de béton et roulez bolides car la timbale reviendra à celui qui pétarade le plus vite!Un vrombissant triomphe auprès des masses qui turbinent. Une chevauchée mécanique que rien n'arrête. Un carton effréné sur les cinq continents. Les audiences le confirment, année après année, soliloque de Sebastian après cavalier seul de Vettel: même quand Ferrari cale, la F1 prospère, youplà, boum. On ne peut même pas dire que c'est toujours le même qui gagne à la fin; l'Allemand, quadruple champion du monde qui vient de remporter à Abu Dhabi son 11e Grand Prix de la saison, le 7e consécutif bonjour l'adrénaline, semble réserver son jéroboam de champ' avant même de prendre la route.

Un interstice moelleux

Alors nous, au risque de faire crisser des molaires, on se torture avec cette inlassable question: pourquoi? Oui, pourquoi la F1 cartonne-t-elle autant à la télé? Une interrogation qui, mine de rien, pourrait nous en apprendre plus qu'on ne pense sur le cœur enfoui de la nature humaine.Ce machin couru d'avance - avant Vettel, pendant quinze ans grosso modo, il y avait Schumacher -, ce grand cirque qui tourne en rond de surcroît aspire les foules dans son sillage parce qu'entre le rôti du midi et la tarte aux pruneaux de 16 heures, il y a un petit creux. Un interstice moelleux dans lequel se love volontiers l'aventurier du dimanche... histoire de piquer un pieux roupillon.Qui n'a pas connu, une fois dans la vie ou tous les quinze jours, ce bonheur intime? Cet instant divin où, après avoir regardé les plantulpeuses hôtesses sous leurs ombrelles et entrevu le feu passer au vert, on se laisse gentiment glisser dans les bras de Morphée - il est capital d'avoir réglé le son sur un volume idoine, juste perceptible depuis les confins du canapé, mais pas trop. Les envolées du commentateur ne doivent pas être déchiffrables, les accélérations doivent évoquer un frottement d'ailes de libellule et non la fraiseuse du dentiste.

L'heure de la sieste

C'est alors que, court-circuitées de toute turpitude existentielle, des centaines de millions de mirettes luttent un peu, surtout s'il y a carambolage à l'entrée de la première corniche mais ça devient de plus en plus rare, puis se ferment irrémédiablement. En somme, c'est l'heure de la sieste.Une paire d'heures à divaguer en canot pneumatique sur un canal public, et puis le filet de bave qui coule le long du menton pour sonner l'heure du réveil - et de la tarte. La F1, une immuable passion. Celle de ceux qui cherchent un projet pilote, un moteur à la vie.