Lausanne, Servette, les bougies et les ténèbres

Anciens fleurons de la baballe nationale, les deux institutions lémaniques s'écharpent pour éviter le pire. Heureusement, il y a toujours un vieux sage chinois sur lequel s'appuyer...

La seule chose immuable, c'est le changement. Dressé il y a deux gros millénaires et demi par un gars qui avait oublié d'être sot - le sage chinois Lao Tseu, contemporain présumé de Confucius -, puis repris à son compte par le philosophe grec Héraclite, le constat est de nature à rassurer les plus anxieux. Le changement, non content de s'avérer inévitable, se profile de surcroît comme l'un des trucs les plus sains qui soient. Qu'on switche de bagnole, de mari ou de continent, quand on le fait, c'est le bon moment.

Un sur le carreau

Or, cette semaine, il va forcément y avoir du changement dans le paysage lémanico-footeux. Une coupe radicale même, qui laissera sur le carreau des désillusions, à choix, le gigantesque Servette FC ou le majestueux FC Lausanne-Sport; l'aveugle ou le borgne. On se permet ces lignes avant même le derby du mercredi 29 mai à la Pontaise - si les Genevois ne gagnent pas, ils tombent en Challenge League et s'ils s'imposent, il faudra attendre l'ultime soirée du 1er juin avant de teindre le bonnet d'âne en grenat ou en bleu et blanc. Parce que dans le fond, même si les partisans des deux «camps» ne pourront pas souscrire à telle énormité, c'est un peu la même chose... Que Servette ou Lausanne se casse la gueule cette année, de toute façon, le rescapé s'allongera illico sur la liste des papables à la culbute dès la saison prochaine - tandis que l'autre s'escrimera à remonter la pente, comme Sisyphe avec son caillou dans la chaussure. Dans le domaine à crampons, l'arc lémanique semble ne plus posséder ni flèche, ni cible; alors il débande.

Guettés par l'échafaud

Pourquoi? Oui, pourquoi des villes comme Saint-Gall ou Lucerne, sans parler de Thoune, sont-elles capables de réussir là où nos deux mégapoles peinent? Pourquoi le tissu économique et la fibre populaire ne sont-ils pas en mesure de tricoter un pull pour l'hiver à nos deux monuments truffés de lézardes? Pourquoi, deux ans après avoir pris conjointement l'ascenseur, nos cracks sont-ils déjà guettés par l'échafaud?Le 2 juin 1999, au soir d'un derby enflammé malgré le déluge, dans une Pontaise pleine à ras bord, Lausanne et Servette se disputaient le titre de champion de Suisse - les grenat l'emportèrent alors. Quatorze piges plus tard, la marche triomphale a cédé sa place au requiem, les chrysanthèmes fleurissent là où pleuvaient les lauriers.La seule chose qui est immuable, c'est le changement; surtout quand on a pris l'habitude de rater le train. En l'espace de deux septennats, c'est à dire trois fois rien si l'on songe à ce bon vieux Lao Tseu, Lausanne puis Servette ont connu la faillite; puis la galère, les soubresauts et, maintenant, voilà que menace la plongée. Heureusement, il y a toujours un sage chinois pour ramener un semblant de lumière, y compris dans les plus sombres instants: «Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres», disait-il aussi.