Le football, la plus belle conquête de la femme

Chronique • La Coupe du monde qui se dispute actuellement au Canada le prouve: ces dames, en un peu plus d’un siècle, sont parvenues à briser les plus dédaigneux préjugés. 

«Gonzesses»

Chère Elisabeth, chère Simone, on avance, on avance. Ces jours, voire ces nuits selon où on se trouve sur la planète, quelques hommes au moins recousent des boutons ou font la vaisselle tout en jetant un œil sur des matches de football pratiqués par des femmes. Certains omettront peut-être de s’en vanter avec les potes à l’apéro, mais oui, ils trahissent un intérêt réel pour ce qui fut longtemps considéré comme une hérésie: des «gonzesses» qui tapent dans le ballon, franchement... Le football, condensé de machisme à poils longs et de testostérone en tube, a contrairement aux idées reçues presque toujours été pratiqué par les femmes. 

Le 23 mars 1895 à Crouch End, une sélection «Londres du Nord», emmenée par Nettie Honeyball mettait la pâtée à son homologue «du Sud» (7-0 ou 7-1 selon les sources plus clémentes). Dans les décennies qui suivent, des dames pionnières entretiennent le sillon. Les confrontations entre Anglaises et Françaises attirent régulièrement plusieurs dizaines de milliers de spectateurs - ils sont 25’000 en 1920 à Manchester. Mais il y a un truc qui coince: le regard protecteur et borné des mecs.

«Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, sur un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public, oui, d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui n’est pas tolérable, s’emporte ainsi Henri Desgranges en 1925, cité par Laurence Prudhomme-Poncet dans son «Histoire du football féminin au XXe siècle». Le monsieur, directeur du journal L’Auto (ancêtre de L’Equipe) et fondateur du Tour de France cycliste, traduit là l’air du (mauvais) temps pour les footballeuses. Et comme le Baron Pierre de Coubertin est à peu près du même avis, il va falloir se battre pour gagner du terrain. 

D’Issy-les-Moulineaux à Herisau en passant par Bagdad, la lutte continue. Les fédérations anglaise, allemande et française attendent 1969 - année érotique - pour reconnaître le football féminin. Une première Coupe du monde a lieu l’année suivante, encore non-officielle puisque la FIFA ne daignera structurer et chapeauter le tournoi qu’à partir de 1991.

Fini, les moqueries!

L’anecdote n’a pas encore viré au roman-fleuve, mais elle prend de l’ampleur. Ces dames ont gagné le respect - terminées les moqueries sur tel amorti de la poitrine manqué ou telle étourderie tactique. Le niveau est bon, si l’on excepte certaines gardiennes. Elles ont gagné en visibilité, aussi. Le «produit» a progressé à tel point que cette année, pour la première fois, l’institution Panini a décidé de consacrer un album à la présente Coupe du monde.

Vingt-quatre équipes participent au Canada, contre seize auparavant, dont la Suisse. Le décalage horaire ne joue pas en faveur des téléspectateurs européens mais en Amérique du Nord, où le «soccer» féminin possède un vaste réservoir et une solide tradition, les audiences font mouche. Et le dimanche 5 juillet à Vancouver, un quart de siècle après l’obtention du droit de vote par les Appenzelloises, il y aura plus de 50’000 spectateurs pour encourager vingt-deux miss en short dans un stade. n