Minute de silence pour la Formule 1

CHRONIQUE • Les bolides sont repartis pour un tour, mais sans pétarader comme avant. Aux oreilles de beaucoup, dont Sebastian Vettel, c’est un drame.

Quand on est quadruple champion du monde de Formule 1, on possède par essence une certaine maîtrise de la ligne droite: «C’est de la merde», a tonné Sebastian Vettel, expert en la matière puisqu’il évoquait ce qu’il y a sous son capot. Inutile de préciser que l’affaire s’est répandue à la vitesse grand V; V6 précisément, modèle turbo hybride new generation, descendant direct du V8 et objet d’un assourdissant tintamarre dans le paddock. 

Des moteurs aphones

Le coupable mérite au moins un châtiment à la Prométhée, nu sur son rocher du Mont Caucase, à se faire bouffer le foie tous les matins par un rapace à bec recourbé. Parce que tenez vous bien: ce coup-ci, ils n’ont pas rendu le feu aux hommes; ils leur ont volé le bruit - c’est pire! Grondez turbines, chialez soupapes... Oui, parfaitement, les moteurs de Formule 1, réputés pour leur stridence hautement décibellique, ne sont même plus de nature à couvrir le sèche-cheveux de la Castafiore. «Sur le muret des stands, pendant la course, c’était plus calme que dans un bar», a ajouté Sebastian Vettel, déboussolé par son moteur aphone.

Ils sont nombreux, dans le sillage de l’Allemand à moins qu’ils ne l’aient devancé, à avoir véhiculé le message. Cette déclaration, de prime abord extrêmement dure, s’avère en fait assez rigolote quand on sait que son auteur blond pilote depuis cinq ans une voiture estampillée Red Bull - numéro 1 mondial du bon goût. Et reste à savoir à quel point le jugement très carré émis par Vettel, doublé d’un dérapage verbal la semaine dernière en Malaisie, a été influencé par sa sortie de piste quinze jours plus tôt en Australie...

Toujours est-il qu’il n’est pas le seul, «Baby Schumi», à avoir eu envie de casser son jouet parce qu’il ne fait plus «vroum vroum» assez fort - et ne lui parlez pas de ranger sa chambre, il boude sévère. Caprice d’enfant gâté?

Trop, c’est trop!

Non, juste le cri d’un cœur scandalisé à qui on a piqué le sel. «La F1 doit être spectaculaire, or le bruit est l’un des facteurs les plus importants.». On ignore si les actionnaires des boules Quies ont porté plainte. Mais d’autres s’offusquent pour eux. «C’est une honte! Quand une Formule 1 arrive droit devant vous, vous ne pouvez même pas l’entendre», a fulminé Ron Walker dans The Independent. Puis le promoteur du Grand Prix d’Australie a craché le morceau: «Trop c’est trop, ce n’est pas ce pour quoi nous avons payé [...] La Fédération internationale de l’automobile n’a pas le droit de détruire ce sport. On pourrait tuer la poule aux œufs d’or.»

Au cours de l’exercice 2013, un Grand Prix réunissait en moyenne 450 millions de téléspectateurs à travers la planète, soit pas loin d’un milliard d’oreilles. Score impressionnant? Non, audience en chute libre puisque les aficionados étaient 500 millions l’année d’avant et encore 600 millions en 2008. Et voilà que maintenant, catastrophe suprême, on leur vole le bruit. Leur indispensable boucan. «Il suffira de s’habituer», s’est essayé l’ancien champion Niki Lauda, dans un rôle d’amortisseur de polémique. 

Mais rien à faire. Alors ils tapent des pieds, se prennent la tête à deux mains et réclament le changement, illico. L’écologie, c’est bien mignon mais un tantinet dépassé. Il leur faut du bruit; parce que le silence n’est pas d’or. n