Ottmar Hitzfeld, ou l’art de s’en aller avec bonheur... ou pas!

CHRONIQUE • Monument du foot international, le sélectionneur de l’équipe de Suisse raccroche son costume après la Coupe du Monde au Brésil, qui donnera donc une couleur ultime à sa carrière.

  •  Fin juin,Ottmar Hitzfeld aura tiré sa révérence. dr

    Fin juin,Ottmar Hitzfeld aura tiré sa révérence. dr

Tous les artistes, du funambule au gardien de but en passant par Charles Aznavour, vous le diront: réussir sa sortie, c’est capital. Ottmar Hitzfeld le sait bien, lui qui avait officialisé la sienne en octobre dernier, la voix brisée dans les mornes locaux de son employeur à Muri (BE), non loin de la bretelle d’autoroute: «Je veux arrêter en pleine possession de mes forces, je m’en irai après la Coupe du Monde», avait lâché le futur ex-sélectionneur de l’équipe de Suisse, pour une fois incapable de masquer ses émotions.

Un vrai compétiteur

Ottmar Hitzfeld, 65 ans, est donc à un Mondial brésilien de la retraite. Et sauf accident ou très bonne blague, il ne sourira pas en public avant que tout ne soit terminé - bien ou mal. L’Allemand, ancien professeur de sport et de mathématiques, passionné de poker, fils de dentiste et neveu du général Otto (sic), est un compétiteur jusqu’au bout des ongles. La maîtrise permanente des paramètres technico-tactiques, la compréhension des individus, la quintessence du groupe, le frêle équilibre du vestiaire, l’art du mouvement, il y a consacré sa vie: Ottmar Hitzfeld, un demi-siècle en ballon. Ces jours, il ne sourira pas en public parce qu’il pense trop à réussir sa sortie. A trouver une chute digne de sa triomphale trajectoire.

Une légende

Car Ottmar Hitzfeld, ce n’est pas le schtroumpf qu’on a distingué la semaine dernière dans son survêtement bleu, sous la pluie, à donner des consignes à ses ouailles sur un bucolique terrain de province lucernoise. Hitzfeld, et sa présence sur le banc helvétique depuis six ans ne doit pas nous le faire oublier, c’est un monstre, une légende du jeu. Depuis ses débuts en 1983 à Zoug, au fil des étapes (Aarau, Grasshopper, Borussia Dortmund, Bayern Munich), il s’est érigé en monument.

Parce qu’en football, on a vite tendance à vénérer les gens qui gagnent avec une telle insistance. Or, l’ancien attaquant de Bâle et Stuttgart notamment a mis sa patte sur vingt-cinq trophées dans sa carrière d’entraîneur - septuple champion d’Allemagne, il est le seul, avec Ernst Happel, José Mourinho, Jupp Heynckes et Carlo Ancelotti, à avoir remporté la Ligue des champions avec deux clubs différents. Le modeste placard que constitue cette chronique ne suffirait pas à ranger tous les lauriers, contentons-nous donc de reprendre le terme employé par son joueur Stephan Lichtsteiner pour désigner l’oiseau: «Superstar».

Reste à savoir comment il quittera la scène; en quelle couleur s’inscrira sa sortie, lettres d’or ou regrets éternels. Depuis qu’il a succédé à Köbi Kuhn en 2008, papy sympa de la nation, le très prestigieux Ottmar Hitzfeld n’a jamais cessé d’inspirer le respect du peuple suisse, sa deuxième patrie puisqu’il est né à Lörrach non loin de Bâle et qu’il a fait ses armes de ce côté-ci de la frontière. Mais l’histoire d’amour, de hauts en bas, n’a jamais complètement décollé.

Bien sûr, il y a le sensationnel morceau de bravoure du 16 juin 2010 à Durban, cette victoire (1-0) arrachée au futur champion du monde espagnol qui avait incité «Gottmar», par ailleurs très croyant, à se signer au coup de sifflet final. Mais quelques jours plus tard, c’était la douche froide, l’échec contre le Chili puis le modeste Honduras. Remous internes, retraites d’Alex Frei et Marco Streller, plantée sur le chemin d’un Euro 2012 que la Suisse ne vivra pas; et puis une forme de renaissance, initiée par l’éclosion de nouveaux talents (Shaqiri, Rodriguez, Xhaka, etc...) et matérialisée par une qualification nette pour ce Mondial 2014.

Le Brésil pour station ultime. «Quand on aime, il faut partir», écrivait Blaise Cendrars. Ottmar Hitzfeld va s’en aller. Et en fonction de ce qui va se passer lors de trois matchs, contre l’Equateur, la France et le Honduras, davantage si affinités, l’artiste aura réussi sa sortie; ou pas.