Petite mort du champion et blues dimanche soir

CHRONIQUE • Didier Défago, figure des deux dernières décennies, ne skiera plus. L’occasion est donc belle de rappeler que tout finit toujours par foutre le camp!

  •  Didier Défago et le ski de compétition. DR

    Didier Défago et le ski de compétition. DR

Le papa, cramponné au micro, chevrote toute sa fierté, très vite interrompu par les larmes. Un peu gêné, le présentateur se tourne alors vers les trophées, puis vers l’épouse, pas mécontente à l’idée de «retrouver une vie normale», puisque voilà son mari rangé des pistes. Le frère dit toute sa fierté, bredouille un hommage à l’infaillible attachement familial. Le préparateur physique et fidèle ami, lui aussi entre deux sanglots refoulés, souligne à quel point les tuiles ont toujours rendu Didier Défago plus fort, plus performant. «Ça va laisser un gros vide», annonce Patrice Morisod, l’ex-entraîneur.

Plus le blues que la rumba

Sur la table du chalet de Morgins, quelques coupettes alignées, auxquelles personne n’ose toucher tant que la caméra tourne. Pour tout dire, c’est plus blues que rumba dans l’air - on est dimanche soir sur la RTS. Le champion olympique de descente (2010), 37 ans, relié aux siens depuis Genève par le truchement d’un duplex, ne skiera plus en compétition. Didier Défago est venu dire au revoir en direct à la Romandie, avec davantage de sponsors sur la chemise que de mots à mettre sur ses émotions. Fin du reportage, on trinque enfin à Morgins. Fin de carrière, petite mort du champion, à qui on souhaite une radieuse continuation d’existence.

Le sport, c’est comme la vie, cet immuable quai de gare; ça va ça vient, avec tous ces trains qui accostent ou bien s’envolent. Il y a ceux qui partent (Dominique Gisin, une médaille d’or olympique et neuf opérations aux genoux) et ceux qui reviennent de nulle part (Timea Bacsinszky, passée du sous-sol au 23e rang mondial!). Il y a ceux qui sortent du tunnel (FC Sion) et ceux qui creusent leur trou (FC Lausanne-Sport). Ceux qui habitent un «pays de merde» (Zlatan Ibrahimovic) et ceux qui finissent par se réconcilier avec la Californie (Serena Williams, après quatorze ans de boycott, a retrouvé le public d’Indian Wells, un temps taxé de racisme).

Les effets du temps

«Ça s’en va et ça revient/C’est fait de tout petits riens»: Martina Hingis possède elle aussi un côté très Claude François, par ailleurs parfaitement insoupçonné venant d’une jeune femme née à Kosice et élevée à Trübbach. La Saint-Galloise, double ex-retraitée des courts et «nouvelle» reine du double, vient de remporter son 42e succès en binôme - ce coup-ci avec l’Indienne Sania Mirza. La championne, 5e mondiale dans la spécialité, offre une valeureuse résistance aux effets du temps. Elle refuse de «mourir», de poser sa raquette et prendre le train-train quotidien pour on sait pas trop où - la vraie vie, elle a déjà testé, très peu pour elle.

Des valeurs refuge

Didier Défago va devoir s’y frotter. Le voilà dans un inhabituel portillon, avec ce nouveau virage à tracer, certes moins vertigineux qu’une Streif mais pas forcément moins piégeux. Faire le deuil d’une vie antérieure et se projeter dans la suivante. Un saut dans le grand vide, drôles de frissons.

Heureusement, il nous reste quelques valeurs refuge: les Suissesses sont championnes du monde de curling pour la troisième fois en quatre ans. Fabian Cancellara, même s’il n’a toujours pas gagné Milan-San Remo, et Roger Federer, même s’il s’est incliné devant Novak Djokovic en finale du tournoi d’Indian Wells, sont toujours là. Leur âge? On ne veut pas le savoir. Parce qu’entre nous, on redoute un peu le dimanche soir où, dans un survêtement ou un costume trois-pièces, ils nous annonceront leur petite mort en direct.