Un daïquiri papaye à notre pauvre santé

CHRONIQUE • Sans Laurent Bourgnon, tout paraît un peu vain, y compris la perspective d’une finale 100% suisse à Wimbledon, la 111e victoire de Valentino Rossi ou la conscience légère de Justin Gatlin. 

  • Laurent Bourgnon. DR

    Laurent Bourgnon. DR

Cinq mots comme autant de cailloux sur la tartine. Cinq gouttes de cyanure dans le Cacolac. «Laurent Bourgnon: fin des recherches.» Lundi, 7h04, dépêche dans la gueule, un monde qui achève de s’effondrer. Le prénom, le nom et une information brute pour entériner ce qu’on avait compris depuis cinq jours, sans parvenir à l’accepter une seule seconde. «Fin des recherches.» Une formule si lapidaire pour un mec si lumineux - il y a des procès qui se perdent. Et la vérité, accablante: Laurent Bourgnon, navigateur de génie et homme de haut vol à moins que ce ne soit l’inverse, bouffeur de vie et passeur de rêves, a effectué sa dernière plongée sous-marine dans l’archipel des Tuamotu, paradis terrestre. Sa disparition constitue une nouvelle affreuse pour la planète.
 
Un dévoreur de l’extrême
Elle va continuer de tourner en rond, contrairement à lui qui filait droit comme une étoile. Et cette année, on comprendra enfin pourquoi on fait relâche le premier dimanche de Wimbledon; pourquoi seul le blanc y est autorisé. On ignore si Laurent Bourgnon, dévoreur de l’extrême, pouvait aimer un sport aussi géométrique et bourré de convenances que le tennis. Mais il ne s’est jamais interdit aucun fantasme, aucun optimisme, à l’image d’un quotidien du coin qui s’emballait en une, au lendemain du tirage au sort: «Finale suisse à Wimbledon?» Dès le moment où Roger Federer et Stan Wawrinka ne figurent pas dans la même moitié de tableau, oui, c’est possible.
D’ailleurs Laurent Bourgnon l’a prouvé à maintes reprises, tout est possible, y compris le respect des traditions ancestrales: le 22 août prochain à Ulrichen, sur la sainte terre qui a vu naître Sepp Blatter en mars 1936, le tournoi dédié à la gloire du président démissionnaire de la FIFA aura bien lieu. On peut même imaginer que, dans l’enthousiasme d’un penalty réussi avec la condescendance du gardien et un coup de blanc derrière la cravate, «Seppi» nous annonce que finalement, il ne partira pas; car il doit poursuivre sa mission.
 
Le dépassement de soi
On peut, on doit rêver, même s’il arrive que la dépêche dans la gueule de 7h04 plombe l’horizon. «Fin des recherches.» Et pendant ce temps-là, Valentino Rossi poursuit sa moisson. L’Italien a fêté dimanche la 111e victoire de sa prodigieuse carrière motocycliste, et voilà le «Docteur», dites 46, en course pour une dixième couronne de champion du monde.
La mécanique, Laurent Bourgnon
adorait ça - il y eut outre les bateaux, le rallye automobile et l’aviation au nombre de ses passions. Mais l’été, c’est aussi la saison des disciplines où l’athlète doit développer les watts/seconde et les chevaux/vapeur lui-même, à l’énergie toujours renouvelée de sa propre pompe et de ses jarrets. 
D’ailleurs les montagnes du Tour de France pointent leurs dents et, comme chaque année, entre deux envolées lyriques pour saluer l’exploit du grimpeur à sa juste altitude, on se grattera la tête en tâchant d’analyser la fumée dégagée par son pot d’échappements. Ou quand le dépassement de soi rime avec la transgression d’autres limites; quand l’inévitable triche rend un hommage plein de sarcasmes à tous ceux qui, en dépit des modes, continuent à avancer nets, droits dans leurs souliers.
 
Le poids des contrastes
Justin Gatlin, qui sera l’une des têtes d’affiche d’Athletissima mercredi prochain à la Pontaise, jure s’être rangé des seringues et des sulfateuses. Il a déjà été suspendu pour dopage à deux reprises, la dernière entre 2006 et 2010. De chargé, le mulet est passé à repenti. A 33 ans, invaincu depuis bientôt deux piges, il détale plus rapide que jamais (son 19’’57 de dimanche sur 200 mètres équivaut à la 5e performance de tous les temps). Un phénomène qui s’explique sans doute par le fait qu’on avance plus vite la conscience légère.
Voilà qui contraste avec la lourdeur des cœurs, la dureté du destin. Pour revenir à Laurent Bourgnon, maintenant que les autres types d’espoir sont éteints, on en est à peu près sûr: à cheval sur un dauphin, «le Petit Prince» a pu rallier un rivage voisin où, avec sa gueule d’ange et son œil rieur, il sirote un daïquiri papaye à notre pauvre santé. n