La fermeture d’une clinique esthétique lausannoise lèse des dizaines de clientes

PRÉJUDICE • Alors qu’elles avaient payé des forfaits pour plusieurs séances dans un institut lausannois, des femmes ont été mises devant le fait accompli en août par e-mail: elles ne seront pas remboursées. Le patron est un avocat et ancien député vaudois.

«Nous avons vraiment l’impression de nous être fait berner»
Un couple lésé

Le mois d’août aura eu un goût amer pour de nombreuses femmes qui comptaient sur leur prochain rendez-vous dans une clinique esthétique lausannoise pour se refaire une beauté. Un courriel automatique est arrivé en réponse à leurs sollicitations: «Nous avons le regret de vous informer de la cessation de nos activités  pour des raisons indépendantes de notre volonté. Les prises de rendez-vous sont définitivement interrompues dès ce 14 août 2023. Nos bureaux seront fermés dès cette date et tous les rendez-vous déjà pris sont annulés. Les traitements payés en avance, notamment abonnements, ne pourront être remboursés. Nous regrettons amèrement cette situation.»
Cet établissement se décrivait comme une clinique privée proposant des prestations de médecine esthétique, épilation laser, injections de toxine botulique et acide hyaluronique, soins esthétiques pour le visage et le corps, et traitements médicaux... Vers la fin de l’hiver, il a multiplié les offres en promotion sur les réseaux sociaux avec 50% de réduction notamment sur les soins du visage et l’épilation dite laser, décrite comme «médicale» mais réalisée par des assistantes. La condition? Acheter à l’avance des packs de soins, soit un lot d’une dizaine de séances.

Rendez-vous annulés cet été

«Tout semblait correct lors des premières séances au printemps, nous décrit une cliente. Les soins sur place était bien effectués.» Selon le planning établi, des rendez-vous étaient prévus en juin et juillet. Et c’est alors que la situation a changé pour ces femmes. Au moment de confirmer ces dates estivales, le secrétariat leur a demandé pour nombre d’entre elles de reporter leurs rendez-vous à la rentrée, en septembre. Pourquoi pas… Mais quand, mi-août, ces clientes ont tenté de joindre par téléphone la clinique, personne au bout du fil.
C’est en envoyant un courriel qu’elles ont appris en retour la soudaine fin des activités «pour des raisons indépendantes de notre volonté», avec l’impossibilité de prendre d’autres rendez-vous, d’assumer ceux de prévus, et surtout: aurevoir à l’argent dépensé en amont lors de l’achat des packs de séances! La crise due à la pandémie ainsi que la hausse des loyers et de l’énergie étaient invoquées pour justifier cette cessation abrupte d’activité tout en espérant pouvoir «compter sur votre compréhension». Des clientes ont commencé à s’inquiéter et à se plaindre dans des groupes sur des réseaux sociaux. Le spectre de Dépil Tech, à Lausanne, qui a soudain fait faillite et fermé ses portes en janvier dernier, hantant encore les esprits.

L’enseigne demeure

«Nous avons vraiment l’impression de nous être fait berner», témoigne un couple. Ils se demandent si les rendez-vous de fin juin et début juillet n’ont pas été volontairement repoussés à des dates aléatoires en septembre alors que la direction savait déjà qu’elle allait devoir fermer les portes de l’établissement.
Des vérifications auprès des autorités vaudoises en août ne démontrent alors aucune annonce de mise en faillite, ce qui inquiète davantage les personnes lésées. Peuvent-elles s’annoncer dès lors comme créancières (pour près de mille francs chacune) auprès de l’office concerné dans un tel cas? Cette cessation d’activités est-elle légale? Du côté du registre du commerce, la société est enregistrée comme SA (société anonyme) depuis des années, sans obligation de révision de ses comptes par une fiduciaire indépendante, et avec comme administrateur un homme de loi bien connu. Avocat, il a aussi été député au Grand Conseil vaudois. Sa deuxième épouse avait été nommée directrice de cette clinique, en tant que «responsable de la clientèle, du personnel, de l’administration et de la communication». A en croire son profil LinkedIn, elle se présente comme «artiste en maquillage permanent». Nous ne sommes pas parvenus à la contacter. Sur place, l’enseigne demeure, mais la porte est close à l’étage.

La faute à un marché de l’épilation saturé...

Contactée par téléphone, l’étude d’avocat où travaille l’administrateur de la clinique déclare qu’il n’est pas joignable en raison d’un arrêt maladie. Notre texto à son numéro de portable est resté sans réponse mais son avocat-conseil, et confrère à la même étude, nous a rappelés. Ce dernier tient à souligner avant tout l’aspect «fort regrettable» pour les clientes qui se retrouvent avec un montant perdu: «La clinique est sincèrement navrée pour elles.» Il souligne que son confrère a porté à bout de bras cet établissement auquel il tenait. «En raison de la crise et de la concurrence en hausse sur le marché saturé de l’épilation et des soins esthétiques, y compris à Lausanne, les activités n’étaient plus viables par manque de liquidités», indique-t-il. Des «mesures d’assainissement» auraient été prises avant une telle décision fatale, ainsi qu’une base de travail axée sur du «bénévolat» (sic). Il ajoute que l’épouse de l’administrateur unique n’était plus à la direction de la clinique en 2023 et dément un quelconque subterfuge en juin pour déplacer volontairement des rendez-vous après la fermeture prévue de l’institut: «Il a alors fallu faire face à des congés maternité d’employées», selon lui.

Audience de faillite prévue 
en septembre

Le conseiller juridique est aussi formel: la requête en faillite a bien été adressée le 15 août à la justice et une audience de faillite se tiendra en septembre. Les clientes lésées peuvent faire valoir leurs créances à l’Office des poursuites de Lausanne (ou déjà au Président du Tribunal d’arrondissement du siège de la société, sans attendre la mise en faillite officielle).
Mais selon le nombre de créanciers et des montants réclamés, elles ne seront pas prioritaires dans la liste pour espérer se faire rembourser, à supposer qu’il reste quoi que ce soit aux actifs de cette clinique en faillite. «Les clientes concernées seront colloquées en troisième classe bien après les salariées de la société. Leurs chances d’obtenir le remboursement de leurs bons paraissent donc pas très élevées», explique le chef du Service juridique de la FRC, Jean Tschopp. «L’avance de frais pour des forfaits soldés et les bons d’importante valeur comportent évidemment une part de risque car en cas de fermeture ou d’insolvabilité de l’enseigne, les protections des consommateurs sont plutôt faibles.» Une réflexion à avoir avant tout paiement en amont…