La flambée des prix de l’électricité plonge les boulangers dans le pétrin

COMMERCE• Président de la Société des artisans boulangers-pâtissiers du canton de Vaud, le Lausannois Laurent Buet lance un cri d’alerte. Sans intervention de l’Etat, l’inflation des tarifs de l’électricité va pousser de nombreux artisans à mettre la clé sous le paillasson.

  • Laurent Buet souhaite que les autorités politiques fassent pression sur les fournisseurs d’électricité. MISSON-TILLE

    Laurent Buet souhaite que les autorités politiques fassent pression sur les fournisseurs d’électricité. MISSON-TILLE

«Plusieurs dizaines de boulangers devront mettre la clé sous le paillasson» Laurent Buet, patron de la Maison Buet

Lausanne Cités: Cette nouvelle année, vous l’abordez dans quel état d’esprit?

Laurent Buet: Avec beaucoup de crainte, je m’attends à des mois sombres pour les boulangers, les chocolatiers et les confiseurs. L’explosion des prix de l'électricité, après celui des matières premières et les deux années de Covid représente un véritable coup de massue.

Quel est le sentiment qui domine? La colère, la peur ou la résignation?

Quand je rentre le soir et que je parle avec ma femme et mes enfants, c’est plutôt la résignation. Mais je suis obligé de me battre, la Maison Buet fait vivre 35 familles, c’est pour elles que je reste combatif en essayant de trouver des solutions pour mon commerce, mais aussi pour les autres artisans du canton.

Oui, car, en mars dernier, vous avez repris la présidence de la Société des artisans boulangers-pâtissiers du canton de Vaud (ABPCV), sans mauvais jeu de mots, vous devez avoir du pain sur la planche?

Oui, c’est le moins que l’on puisse dire! J’échange tous les jours au téléphone avec les membres du comité et pour être sincère, il y a de quoi déprimer quand on voit l’évolution de la situation. On a retourné le problème dans tous les sens, mais aucune solution ne se dessine pour notre profession.

Il y aura de la casse?

C’est évident. Plusieurs dizaines de boulangers vaudois devront mettre la clé sous le paillasson si les autorités ne prennent pas la mesure de la situation. Certains confrères paient déjà deux fois plus cher leur électricité, d’autres trois fois. Les faillites vont se multiplier ces prochains mois. Et une ville qui n’a plus de boulanger, c’est une ville qui n’a plus d’âme…

Vous vous sentez délaissé par les autorités politiques?

Nous sommes entendus, mais pas écoutés. La Confédération a édicté le plan OSTRAL qui oblige certains gros consommateurs à réduire leur consommation énergétique en cas de blackout. Ces restrictions, si elles devaient être mise en pratique, nous empêcheront de faire notre métier. Quant aux autorités cantonales et lausannoises, c’est le silence radio…

Vous pourriez limiter la consommation de vos fours et de vos congélateurs?

C’est impossible! Pour confectionner nos produits, nos fours et congélateurs doivent tourner à plein régime. Si je prends l’exemple de la Maison Buet, nous consommons 210'000 kWh par année. Le plan OSTRAL prévoit de réduire cette consommation de 20% en cas de pénurie, nous serions donc obligés de fermer notre boutique plusieurs jours par mois. Ceci sans aucune compensation financière, c’est juste scandaleux! De plus, si les tarifs n’évoluent pas, ma facture d’électricité passera de 6000 à 31'000 francs par mois en janvier 2025, vous imaginez bien que c’est impossible de faire face à une telle hausse. Je serai contraint de fermer boutique.

Même en achetant des appareils moins gourmands en énergie?

Ils le sont déjà. J’ai fait réaliser un audit par une société spécialisée et ses conclusions sont effarantes. La seule économie d’électricité que je peux faire est une ampoule qui se trouve dans l’un de mes congélateurs. En la remplaçant par un modèle moins gourmand, je peux économiser deux francs par année sur ma facture. Franchement, il y a de quoi déprimer…

Vous avez même imaginé installer des panneaux solaires…

Oui, mais le problème, c’est que je ne suis pas propriétaire et nous sommes installés dans un immeuble locatif. Même avec l’accord de notre propriétaire, nous économiserions moins de 10% de notre consommation avec un investissement considérable qui ne serait pas rentabilisé avant quinze ans. Même si nous l’envisagerions, en ce moment, nous ne sommes pas capables d’investir, car le Covid nous a laissé sur la paille. Toutes nos économies de l’entreprise et personnelles sont passées dans le sauvetage de notre gagne-pain et celui de nos collaborateurs.

Donc vous espérez une aide financière des pouvoirs publics en cas de blackout?

Pas forcément, nous voulons surtout une solution pérenne qui permette d’assurer un tarif de l’électricité juste pour les gros consommateurs. Les autorités doivent faire pression sur les fournisseurs d’électricité pour que ces derniers arrêtent de se faire des millions sur notre dos.

Comment ça?

Les différents fournisseurs d’électricité profitent de cette situation et proposent des tarifs à la tête du client. Certains boulangers vont payer 6 centimes leur kWh, d’autres 23, d’autres un franc. J’ai vu les devis passer et je peux vous dire que c’est la jungle.

Que proposez-vous?

Les prix de l’électricité pourraient, par exemple, être indexés, c’est ce qui est envisagé pour les artisans en France. Dans tous les cas, une solution doit être trouvée sinon, dans quelques années, il n’y aura plus aucun boulanger à Lausanne et plus largement dans le canton de Vaud.

Parallèlement à l’explosion des coûts de l’électricité, les matières premières subissent elles aussi une forte inflation et cela se répercute sur les clients…

Forcément, car nous ne pouvons pas tout digérer. La tonne de farine a, par exemple, augmenté de 15% en quelques mois. Nous avons déjà été contraint d’augmenter nos tarifs à plusieurs reprises. Un croissant coûtait 1,40 franc en 2020, on le vend désormais à 1,70 franc. Cela nous fend le cœur, mais nous n’avons pas le choix pour survivre.

Deux ans de pandémie, une hausse des matières premières et de l’énergie, l’envie de tout abandonner vous a déjà traversé l’esprit?

Forcément. Mais suite à l’article paru dans vos colonnes (lire notre édition 5 octobre 2022), nous avons reçu énormément de soutien de la part de nos clients. Cela me fait toujours très chaud au cœur et me permet de tenir malgré tout.

Si un jeune vient vous voir et vous dit qu’il souhaite se lancer dans la boulangerie, vous lui répondez quoi?

Qu’il a intérêt à être blindé mentalement, car cela ne sera pas de tout repos. Ma fille Amandine a décidé de se lancer dans le métier alors j’essaie de rester optimiste. J’espère qu’elle pourra réaliser son rêve en régalant les Lausannois comme je le fais depuis plus de 22 ans.

Une réunion d’urgence pour sauver le bon pain, l'éditorial de Fabio Bonavita

Cela ne fait pas l’ombre d’un doute, il existe peu de métiers aussi nobles que celui de boulanger. Pour régaler petits et grands, ces artisans passionnés sont prêts à sacrifier leurs week-ends et des horaires réguliers. Quand tout le monde dort encore, ils s’affairent aux fourneaux pour confectionner croissants, pains au chocolat et autres taillés aux greubons.

Ce que l’on sait peu, c’est qu’une boulangerie artisanale meurt chaque semaine en Suisse. La faute notamment à la concurrence féroce du pain industriel vendu dans les stations-service et certaines grandes surfaces. Il faut y ajouter la démocratisation du télétravail qui met à mal le rituel de la viennoiserie achetée avant de se rendre au bureau. Autre inquiétude, le coût des matières premières, farine et beurre en tête, ne cesse de grimper depuis le début de la pandémie.

Jusqu’à présent, les professionnels de la boulange ont peu ou prou réussi à s’adapter à ces nouveaux défis. Mais ce qu’ils vivent en ce moment avec l’explosion des prix de l’électricité (lire en page 3) ressemble à un coup fatal. Des dizaines d’enseignes vaudoises sont déjà menacées de faillite et des milliers d’emplois pourraient passer à la trappe. Malgré la gravité de la situation, les pouvoirs publics continuent de faire la sourde oreille. Cette inconcevable apathie risque de précipiter la chute de ceux qui perpétuent jour après jour la tradition millénaire du bon pain. Avant qu’il ne soit trop tard, il appartient aux politiques de rencontrer les professionnels du secteur afin d’envisager des solutions de sauvetage à très court terme. Faute de quoi, c’est tout un savoir-faire qui partira en miettes...