«La catastrophe est programmée!»

Professeur à l'Université de Lausanne, le philosophe Dominique Bourg s'interroge sur la pertinence du concept de développement durable.Il interviendra ce 8 juin à 18h30 lors de la conférence inaugurale du Festival de la Terre, sur l'Esplanade de Montbenon.L'humanité sera-t-elle capable d'opérer rapidement et sans violence la transition écologique rendue nécessaire par l'urgence environnementale?

  • Dominique Bourg, professeur à l'Université de Lausanne.

La notion de développement durable n'est-elle pas galvaudée, une sorte de fourre-tout à la mode du politiquement correct?Dominique Bourg : Oui, c'est incontestable. Car parler de développement durable aujourd'hui, c'est mettre en avant la durabilité dite faible qui implique que la destruction de notre capital naturel peut être toujours compensée par la création de capital reproductible via la technologie. Dans cette perspective, la disparition du ver à soie ne poserait pas de problème puisque celui-ci serait aisément remplacée par le nylon... C'est un peu un attrape-nigaud, parce qu'en réalité cela revient à continuer à faire ce que l'on a toujours fait. Avec les résultats que l'on voit aujourd'hui.Pourquoi pense-t-on que le salut ne peut venir que de la technique?C'est une croyance purement occidentale, et qui a une origine éminemment religieuse. Bacon et Descartes ont joué un grand rôle dans l'établissement de ce mythe, qui nous conduit à faire exploser la planète !Pourtant, nous vivons plus longtemps que nos aïeux, en meilleure santé et nous connaissons un confort inégalé. La technique n'a-t-elle pas fait la preuve de son efficacité?Certes, mais pour combien de personnes? Sur la planète, nous sommes à peu près un milliard et demi à vivre correctement. Mais 2 autres milliards vivent avec moins de deux dollars par jour ! Non seulement notre richesse exclut les autres, mais elle montre les premiers signes d'essoufflement. Pour la première fois en 2008, l'espérance de vie aux USA a commencé à diminuer !Vers quoi allons-nous donc?L'énergie va se raréfier et devenir très chère. Les minéraux également, de manière absolue ou relative. L'eau douce, les ressources biotiques et la biosphère, en termes de climat par exemple, posent déjà d'énormes problèmes. La catastrophe est donc programmée, et plus vite que ce que l'on pense. D'autant que si on laisse les choses aller selon leur cours actuel, on va vers une violence énorme. La situation en Grèce n'est qu'un avant-goût de ce qui nous pend au nez !Quelles solutions peut-on donc adopter?Le modèle de société qui fonctionne bien en garantissant l'emploi et la qualité de vie, tout en se fondant sur une diminution drastique de la consommation des ressources est encore à inventer. En revanche, nous avons entre nos mains, les leviers d'une véritable transition écologique, concept que je préfère à celui de développement durable.Quels sont ces leviers?Il y a deux axes. En premier lieu, l'action publique avec des investissements massifs pour donner de l'emploi, rénover le bâti ancien, adapter le système productif à la diminution des ressources, mettre en place une réduction des flux d'énergie et de matières, car le marché ne pourra jamais à lui seul régler ce problème.Pourtant, ne dit-on pas que le capitalisme est le système idéal pour gérer la rareté?Bien sûr, mais au prix d'une explosion des inégalités! Et pour que la majorité puisse vivre dans des conditions décentes, seule une régulation forte comme celle que l'on a connue dans les années 60 peut garantir des conditions de vie décentes pour le plus grand nombre.Quel est le second levier?L'action citoyenne, car la transition écologique ne peut se faire qu'au prix d'une modification de nos habitudes, vers un mode de vie plus sobre et moins dispendieux.L'humanité sera-t-elle capable d'opérer ces immenses changements sans violence?Si on regarde comment le capitalisme s'est réorganisé au 19e siècle, avec une violence relativement faible, on peut entretenir un certain espoir. La solution peut venir de l'arrivée au pouvoir d'une social-démocratie renouvelée, limitant notre boulimie matérielle et ferme quant au rôle redistributif de l'Etat. Les forces de droite n'en sont actuellement pas capables car elles sombrent aujourd'hui dans une folie inégalitaire qui nous conduit vers un abîme de violences.