Ces «vieux» dinosaures qui embarrassent leur parti

- Brélaz, Tosato, Français, Neirynck... de nombreux élus lausannois et vaudois s’accrochent à leur mandat.
- Pour les jeunes étoiles montantes de leur parti, la seule option est de tenter de monter des putschs qui ne disent pas leur nom.
- Une situation qui pollue la vie politique de la ville, la réduisant souvent aux questions de succession.

«Exergue» Signature exergue

«J’ai décidé de ne pas me représenter en automne 2015 (...) pour laisser la place à de plus jeunes camarades.» C’est avec ces propos sans ambiguïté que la conseillère nationale genevoise Maria Roth-Bernasconi a annoncé, il y a quelques semaines, son intention de prendre du champ avec la politique fédérale.

Des propos qui font écho à ceux de la Lausannoise Silvia Zamora (encore une femme, est-ce un hasard?) qui, il y a quelques années, décidait de quitter la Municipalité, suscitant l’incompréhension d’un de ses collègues qui, effaré, lui soufflait: «Mais qu’est-ce que tu vas bien pouvoir faire maintenant?»...

C’est une constante. Rares sont ceux qui quittent la politique de leur plein gré et le tribun Christoph Blocher en est d’ailleurs un exemple flagrant. La plupart se voient plus ou moins gentiment indiquer le chemin de la sortie par les urnes, ou par la jeune garde de leur parti, pressée de les voir dégager la place pour s’y installer à leur tour.

Papy résiste

A Lausanne et dans le canton de Vaud, on n’y échappe pas. Au PDC par exemple, où Jacques Neirynck, largement octogénaire, incarne jusqu’à la caricature l’expression née du célèbre film de Jean-Marie Poiré «Papy fait de la résistance». Malgré sa volonté de se retirer avant la fin de la législature, sans jamais concrétiser sa promesse, le conseiller national a tout de même pris la mouche lorsque son parti, sans doute lassé d’attendre son bon vouloir, a osé introniser Claude Béglé (plus vraiment jeune lui non plus) pour l’élection 2015 au Conseil des Etats.

Mini-putsch

Autre parti, même mini-putsch. Au PLR, c’est le duo Mathieu Blanc Pierre-Antoine Hildbrand qui annonce sa candidature à la Municipalité pour 2016, «à l’insu du plein gré» d’Olivier Français. Municipal depuis l’an 2000, conseiller national depuis 2007, celui-ci aurait selon nos informations, et contrairement à ce qu’il déclarait dans nos colonnes (lire Lausanne Cités du 10 juillet), très mal pris la démarche de ses deux ambitieux benjamins. Manière de faire savoir qu’après tout, un nouveau mandat pourrait, pourquoi pas?, être envisageable...

La gauche de son côté n’est pas en reste, même si, grâce à sa position ultramajoritaire, le nombre de mandats disponibles rend la concurrence un peu moins féroce.

Si la question de la succession ne se pose pas pour les popistes, le parti étant en voie d’extinction, le PS fait quand même l’objet de quelques tiraillements. Bien sûr, la précédente législature a vu l’arrivée aux affaires de Florence Germond et Grégoire Junod (merci donc Silvia Zamora), mais certains souhaitent continuer le rajeunissement en posant ouvertement la question de la succession d’Oscar Tosato. Le responsable de l’Enfance et de la Jeunesse est en effet en fonction depuis 2002, soit 12 ans!

Dinosaures

Que dire enfin des Verts, sur lesquels l’imposant Daniel Brélaz règne en maître depuis son élection historique au Conseil national en... 1979! Jouissant d’une incontestable popularité, élu à la Municipalité en 1989, il est le Syndic de la ville depuis 2001, sans compter un détour par le Grand Conseil vaudois, réunissant par là-même tous les attributs de ce que l’on peut appeler un dinosaure en politique.

Autant dire qu’il reste peu de place pour les jeunes pousses du parti, dont l’une d’entre elles avoue mezza vocce et non sans cruauté: «Le principal problème des Verts aujourd’hui, c’est de savoir comment se débarrasser de Daniel Brélaz».

Attrait de l’adrénaline du pouvoir, peur du vide auxquels se confrontent ceux qui ont quitté la vie politique (lire encadré), de nombreux élus à Lausanne peinent donc à décrocher, faisant durer un suspense préjudiciable à leur parti. Au risque d’accomplir ce que d’aucuns n’hésitent pas à appeler «la législature de trop», se bornant à la gestion des affaires courantes sans la moindre vision ni vista politiques.

A la fin de son seul et unique mandat présidentiel, le Sud-Africain Nelson Mandela répondait avec sa finesse coutumière à ceux qui l’adjuraient de rempiler: «Je rentre chez moi: je suis à l’âge où on s’occupe de ses petits-enfants!»

«Pas de spécificité lausannoise»

CA • René Knüsel est professeur ordinaire à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.

Comment expliquer que tant d’élus lausannois ou vaudois s’accrochent à leur mandat?

René Knüsel: Plusieurs mécanismes sont en cause. La place et la construction de la relève au sein des partis. Leur organisation est aussi en cause, en particulier quand les équilibres internes sont fragiles. La rétribution de la fonction peut aussi parfois expliquer cet état de fait (faible indemnisation, peu de possibilité de faire carrière, etc.). Ce sont quelques-uns des facteurs pouvant expliquer à un niveau sociétal des engagements particulièrement longs dans la durée. Mais il existe également des sources plus individuelles. La politique se traduit par des rapports de force et certaines personnes excellent dans le genre. Elles constituent en tant que telle une force politique et un piège pour l’organisation.

Y a-t-il une spécificité lausannoise à ce phénomène?

Je ne crois pas qu’il y ait une spécificité lausannoise dans ce domaine. D’autres grandes villes suisses, mais aussi des villes plus petites ont connu l’existence de personnalités qui ont occupé leur fonction longuement (Zurich et Berne, par exemple). Au-delà des explications données précédemment, la situation de la ville de Lausanne peut aussi s’expliquer par le rapport de force entre les partis, qui ne doit pas seulement s’examiner sous un angle gauche/droite, mais aussi de forces composant ces pôles. Ces équilibres de coalition entraînent également des effets autour des personnes, qui représentent un atout (maintenir la position d’un parti en particulier lors des élections) mais avoir un effet pervers (usure de l’image, érosion de l’électorat qui ne se reconnaît plus dans les figures qui le représentent). Ce sont donc avant tout des conjonctures particulières qu’il faut rechercher pour expliquer certains cas de figure comme celui de Lausanne.

Dans ces cas de figure, la relève a beaucoup de mal à s’exprimer. Quelle(s) stratégie(s) lui reste-t-il pour espérer accéder aux affaires ?

C’est un des déséquilibres que je relevais précédemment. La relève peine à s’affirmer, masquée par la présence de fortes personnalités. Mais il faut également dire que ces personnalités peuvent demeurer en place faute de relève en mesure de contester l’autorité, la prestance de ces élus.