Greffe de cornée: Et la lumière sera...

  • Depuis quelques mois, l’hôpital Jules Gonin pratique les greffes de cornées selon une technique inédite.
  • Avec le vieillissement de la population, le besoin en donneurs se fait cruellement sentir.
  • L’obstacle est surtout culturel et sociétal, alors que 120 personnes sont sur liste d’attente à Lausanne.

  •  De la chirurgie ophtalmologique de pointe à l’hôpital Jules-Gonin. dR

    De la chirurgie ophtalmologique de pointe à l’hôpital Jules-Gonin. dR

«En un mois, le patient recouvre ses fonctions visuelles»

Dr Muriel Catanese

Dans la lumière tamisée du bloc opératoire, la chirurgienne, yeux rivés sur son microscope, s’affaire sur un patient endormi, les paupières d’un œil écartées. Au-dessus, deux grands écrans permettent de suivre l’intervention en gros plan.

Nous sommes à l’hôpital Jules-Gonin de Lausanne, grand pôle de compétence suisse en matière d’ophtalmologie. Et, à défaut d’être complètement historique, l’événement représente une première médicale en Suisse romande. Véritable virtuose du scalpel, la doctoresse Muriel Catanese, spécialiste en cornée et chirurgie réfractive, œuvre à greffer une nouvelle cornée à un patient âgé qui n’y voyait presque plus.

Une demi-heure plutôt, le greffon était arrivé en provenance de la Banque des yeux de l’hôpital. Il est 13h30 et la doctoresse, méticuleuse, vérifie minutieusement son état. Elle le colore à l’aide d’une substance violette, procède à une découpe en périphérie, puis décolle un mince film, de 8 mm de diamètre sur 15 microns à peine d’épaisseur qui tapissait sa face intérieure: c’est l’endothélium, la couche la plus profonde de la cornée, destiné à être implanté au patient. Cette technique révolutionnaire, appelée DMEK permet une récupération plus rapide du patient et se susbstitue désormais aux greffes complètes de cornées dites transfixiantes.

Comme du papier à cigarette

Dans l’intervalle, le patient a été préparé, puis endormi. L’intervention proprement dite commence. Avec des gestes précis et sûrs, la chirurgienne procède à de microscopiques incisions autour de la cornée du malade. La cornée étant un organe non vascularisé, il y a très peu de sang.

Ensuite, elle pèle délicatement puis retire l’endothélium malade, comme lorsque l’on gratte la face intérieure d’une loupe. L’œil est désormais prêt à recevoir le greffon. Celui-ci, enroulé sur lui-même comme du papier à cigarette, est aspiré à l’aide d’une seringue puis injecté dans l’œil. Comme il a été coloré au préalable, on l’identifie aisément.

Et c’est là que commence le plus difficile. Enroulé sur lui-même à l’intérieur de l’œil, il faut désormais déployer, déplisser en quelque sorte le greffon pour qu’il se colle dans la face antérieure de la cornée du patient. Délicate, cette manœuvre peut prendre 15 minutes comme une heure. Question de chance, question d’âge du donneur (plus celui-ci est jeune, plus le greffon sera «élastique» et difficile à déployer), question d’habileté du médecin aussi.

Toujours est-il que cette fois-ci, l’affaire est pliée en moins d’un quart d’heure, et le greffon déplié et positionné dans le bon sens. Une bulle d’air est ensuite injectée dans l’œil pour fixer le greffon. Elle mettra une journée à se résorber, imposant au patient de rester couché strictement à l’horizontale durant au moins 48 heures. À 14h30, tout est terminé, et le patient peut quitter le bloc. «Si tout se passe bien, explique Muriel Catanese, la récupération visuelle devrait être complète d’ici un mois! Même si le risque est minimal, le patient devra néanmoins recevoir un collyre anti-rejet durant une année, à titre préventif».

Alors, magique, cette nouvelle technique de greffe de cornée? Certainement! La technique est éprouvée, les résultats excellents ce qui est très encourageant à une période où le vieillissement de la population conduit à un nombre croissant de maladies de la cornée.

Seulement voilà, l’enjeu est ailleurs. Il n’est pas technique, mais... sociétal et culturel.

En Suisse, on manque en effet de donneurs et à l’heure actuelle 120 personnes sont dans l’attente d’une greffe à Lausanne. Une liste qui ne se résorbera qu’au prix d’un changement de mentalités.

Beaucoup de besoins, peu de dons

De nombreux donneurs, s’ils acceptent le principe du don d’organes, se montrent réfractaires dès qu’il s’agit de léguer leur cornée. Peur que le défunt ne soit défiguré, alors même qu’on ne prélève que la cornée et pas l’ensemble du globe oculaire, croyances culturelles, font qu’en Suisse, on manque cruellement de donneurs. D’ailleurs, la Banque des yeux de Lausanne se montre très respectueuse des volontés exprimées. Alors même que le patient a donné son accord, les cornées ne sont prélevées qu’avec l’assentiment de la famille, allant au-delà des exigences de la loi suisse. Il y a actuellement une moyenne de 100 donneurs, soit 160 à 200 cornées greffées chaque année. Depuis quelques années, une infirmière coordinatrice travaille avec le CHUV pour améliorer la situation. «En Suisse, avec le vieillissement de la population, on a bien plus de chance d’être un jour receveur que donneur. Tout aussi important qu’avoir sa carte de donneur, il faut donc en parler à sa famille et à ses proches», conclut Michael Nicolas, le responsable médical de la Banque des yeux lausannoise.