Le Lausannois Nabil Malek toujours sous pression

 - Au début de l'année, le Lausannois d'origine égyptienne Nabil Malek publiait un récit de nouvelles sur Dubaï.
 - Cet ouvrage sans concessions dénonçait l'envers du miracle économique du Sultanat.
 - Dix mois après, il vit sous pression et demeure persona non grata à Dubaï.

  • Près d'un an après la parution de son livre, Nabil Malek est toujours persona non grata à Dubaï. Valdemar Verissimo

    Près d'un an après la parution de son livre, Nabil Malek est toujours persona non grata à Dubaï. Valdemar Verissimo

Lausanne Cités: Au début de cette année, vous avez publié «Dubaï, la rançon du succès», un ouvrage composé de nouvelles qui montrent la face cachée de ce Sultanat (lire ci-dessous). Cela vous a valu des menaces, des lettres anonymes et, formellement, quelques incitations à ne pas y remettre les pieds… Est-ce que vous considérez aujourd'hui que vous êtes victime d'une sorte de fatwa?

Nabil Malek: Dans «Dubaï, la rançon du succès», j'ai essayé de dépeindre avec autant de réalisme possible la métamorphose phénoménale et très rapide de la ville-état. Les trente nouvelles sont basées sur des faits véridiques. Il s'agit de la vie de personnes, riches et puissantes ou humbles et faibles, qui sont tous pris dans le labyrinthe d'un monde devenu inhumain. En dévoilant certaines choses, par exemple l'esclavagisme, la prostitution et la circulation d'argent sale, j'ai provoqué de très vives réactions et des internautes ont proféré des menaces de mort sur ma personne. Le journal «Le Monde» a parlé d'une semi-fatwa, c'est exagéré .

Craignez-vous pour votre vie?

Non, vraiment pas. Les conséquences ont été surtout économiques. J'ai perdu des mandats que j'avais depuis des années avec des sociétés. On m'a dit que j'étais grillé au Moyen-Orient. Les unes après les autres les portes professionnelles se sont fermées. C'est le prix à payer!

Reste que vivre au jour le jour sous la menace ne doit pas être une chose facile?

J'ai pris certaines précautions, je me montre discret, mais le risque zéro n'existe pas. Écrire c'est aussi émouvoir et la vérité n'est pas toujours bonne à dire. Et puis, vous savez, beaucoup d'écrivains sont dans ma situation, surtout au Moyen-Orient, où la liberté de presse est restreinte.

Avec un peu de recul, comment expliquez-vous qu'un simple livre, qui ne s'en prend directement ni à l'Islam ni à Allah, puisse avoir de telles répercussions?

Les gens qui m'ont menacé n'ont probablement pas lu le livre. Je n'ai pas eu la prétention de critiquer une religion, même si mon livre évoque des sujets religieux comme, par exemple, la situation de la femme dans l' Islam ou le blasphème. Il s'agit d'un amalgame comme il est malheureusement tellement commun de le faire.

On aurait pu vous attaquer en justice, on ne l'a pas fait. Pourquoi?

Parce que j'ai dit la vérité. Quelques mois après la publication de «Dubaï, la rançon du succès», les autorités de du pays m'ont rendu un hommage remarquable et inespéré: ils ont refusé à mon livre l'entrée aux Emirats Arabes Unis. Mon éditeur m'a téléphoné un matin pour me dire: «C'est embêtant, mais la censure a trouvé que le livre ne pouvait pas être diffusé aux Emirats Arabes Unis.» J'ai été déçu, mais aussi flatté par cette nouvelle. Voir son livre banni par un gouvernement étranger a quelque chose de bizarrement stimulant.

Vous a-t-on au moins donné la possibilité de vous défendre?

Paradoxalement, mon livre est ma meilleure défense. Si les censeurs avaient pris la peine de regarder au-delà des critiques que j'ai faites, ils auraient remarqué, comme bon nombre de lecteurs et de journalistes l'ont perçu, que cet ouvrage est rempli d'amour pour Dubaï et pour son ouverture d'esprit. J'ai confiance, Dubaï comprend vite.

Mais vous demeurez persona non grata sur place...

Un grand avocat suisse établi aux Emirat considère que la lecture du livre est un must pour tout visiteur et il en recommande la lecture à ses connaissances. Il m'a aussi recommandé de surseoir à toute visite, car les choses que j'ai dites dans mon livre ou lors d'émissions de radio sont jugées contraires à l'intérêt de Dubaï.Près d'une année après la sortie de votre livre, que vous inspire finalement cette situation ?Je suis impatient de tourner la page et d'écrire mon prochain livre.

La rançon de la gloire

PK • Des buildings édifiés sur la mer et le désert, des hôtels qui défient les lois de la gravitation ou encore des centres commerciaux grands comme trois terrains de football: en vingt-cinq ans, Dubaï, autrefois petit port de pêcheurs de perles entouré de terres arides, est devenu un modèle international de succès économique. Les investisseurs du monde entier s'y pressent. Comme les people qui se retrouvent dans ses hôtels étincelants d'élégance.Cette réussite, Dubaï ne le doit pas au pétrole. Le Sultanat n'en a pas. Mais à l'homme fort du pays, le Cheikh Mohammed ben Rachid al Maktoum, prince héritier et autocrate éclairé, qui a trouvé le cocktail magique de la réussite: finance, commerce et tourisme. Cet essor exceptionnel attire hommes d'affaires, architectes, investisseurs, touristes haut de gamme et... ouvriers.Mais ce monde fascinant attire aussi la pègre, avec son corollaire: la prostitution, la drogue ou encore le blanchiment d'argent. C'est le côté sombre de Dubaï: «une énorme et complexe juxtaposition humaine, source d'injustices sociales, de déceptions, de sacrifices, mais aussi de succès économiques.» Dubaï est devenu la caricature des outrances du néolibéralisme, avec ses dégâts sociaux, écologiques et moraux. C'est de cette réalité que dépeint Nabil Malek dans son ouvrage et qui lui vaut aujourd'hui son statut de paria.

Dubaï, la rançon du Succès, Editions Amalthée