Le retour des prostituées clandestines?

- L’acceptation par le peuple de l’initiative sur l’immigration va limiter la main d’œuvre étrangère.
- A la clé, la clandestinité pour les prostituées européennes qui souhaiteraient s’installer en Suisse.
- Le contrôle et la prévention de ce milieu vont immanquablement en pâtir.

«La réintroduction des contingents va favoriser la clandestinité» La patronne d’un salon de massages érotiques

C’est un des effets méconnus de la votation du 9 février. L’éventuel retour des contigents pour les travailleurs étrangers, lié à l’adoption de l’initiative de l’UDC sur «l’immigration de masse», ne sera pas sans effets sur le monde très fermé de la prostitution en Suisse.

«C’est évident, il va y avoir des conséquences, confirme ainsi la patronne d’un des plus grands salons de massages érotiques de Suisse romande. Si l’on réintroduit des contingents, les filles continueront à venir en provenance d’Europe, mais elles travailleront au noir, tout simplement».

«Il va y avoir des répercussions, c’est sûr, renchérit Marc Tille, chef de la police du commerce du canton de Vaud. Mais il est difficile de savoir à quel niveau, car on ne sait pas encore comment l’initiative sera appliquée par Berne. Mais notre travail risque bien de se compliquer».

Dans le canton de Vaud en effet, les prostituées s’annoncent sur une base volontaire. Leur local de travail doit en revanche être déclaré à la police du commerce, ce qui laisse à celle-ci une marge de manœuvre pour contrôler la profession, en termes d’hygiène, de santé publique et de protection des travailleuses du sexe.

Situation économique

La plupart des acteurs du monde de la prostitution appréhendent un risque de retour à la situation d’avant les bilatérales: le retour du fameux permis L d’ «artistes de cabaret», ou même la clandestinité pour celles qui ne pourraient obtenir un permis de travail.

«Les conséquences sont difficiles à prévoir, concède Anne Ansermet Pagot, directrice de l’association de prévention Fleur de Pavé, car cela dépend de la manière dont l’initiative sera appliquée. Un des risques en effet est que cela pousse les femmes à entrer dans la clandestinité ou de choisir un autre pays. Mais la cause première de l’arrivée des prostituées est d’abord la situation économique dans leur pays d’origine».

En Suisse comme ailleurs, le marché du sexe fonctionne selon la règle de l’offre et de la demande, avec de la concurrence et un certain degré d’autorégulation à la clé. En clair, la demande existant, l’offre sera garantie, qu’elle soit sous forme légale ou pas. Ainsi, si l’avènement des bilatérales a favorisé la libre circulation des prostituées européennes, il n’a pas pour autant permis une augmentation exponentielle de leur nombre en Suisse (lire notre encadré).

Le scénario le plus vraisemblable est donc qu’en effet, après un certain nombre d’années, la raréfaction de la délivrance de permis se traduise par une augmentation du nombre de prostituées exerçant clandestinement, surtout si la situation économique de l’Union européenne ne s’améliore pas.

«La situation était déjà délicate, elle le sera encore plus car on risque de perdre de vue un certain nombre de ces travailleuses du sexe. Nous devrons vraisemblablement renforcer les contrôles qui existent déjà, anticipe Marc Tille. Car lorsque les prostituées sont en situation irrégulière, il est en effet beaucoup plus difficile pour elles de dénoncer des conditions de travail déplorables!»

L’effet «bilatérales»

CA • L’entrée en vigueur des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne en 2002 n’a pas été sans conséquences sur le monde de la prostitution. En quelques années, on a observé une notable augmentation du nombre de prostituées en provenance de l’UE, un rajeunissement de l’âge des travailleuses du sexe ainsi qu’une tendance à la baisse des tarifs, phènomènes amplifiés par l’extension de la libre circulation aux pays de l’Est, en 2006. Ainsi, le canton de Zurich a, à lui tout seul, enregistré près d’un millier de nouvelles prostituées rien que pour l’année 2009, tandis qu’à Genève leur nombre passait de 800 en 2004 à plus de 4000 au début de l’année 2012. Une tendance que les associations œuvrant dans le secteur relativisent volontiers, attribuant l’augmentation du nombre de prostituées enregistrées non pas à leur arrivée mais à... leur sortie de clandestinité. Un phénomène qui accrédite l’hypothèse d’une augmentation du nombre de travailleuses du sexe clandestines en cas de retour des contingents pour les travailleurs étrangers.