«Ma priorité: augmenter le pouvoir d'achat»

- Projets d'infrastructures, gouvernance, sécurité, situation économique, le Président du Conseil d'État passe en revue les grands dossiers de 2013.
- S'il se satisfait de l'ambiance de travail avec le parlement, le responsable de l'action sociale met en garde contre les polémiques stériles. 
- Une priorité pour 2013 : augmenter le pouvoir d'achat des citoyens. Un sujet majeur d'inquiétude: la conjoncture économique internationale.

  • Pierre-Yves Maillard. VERISSIMO

    Pierre-Yves Maillard. VERISSIMO

  • Pierre-Yves Maillard. VERISSIMO

    Pierre-Yves Maillard. VERISSIMO

Lausanne Cités: Élu dès le 1er tour en avril, vous êtes devenu le 1er juillet dernier Président du Conseil d'État. C'est un privilège ou un sacerdoce?

Pierre-Yves Maillard: Un peu des deux. Le début a été très lourd, car il a fallu mettre en place le programme de législature, avec des arbitrages entre les différentes sensibilités. Avec en plus, la direction du département, qui n'est pas de tout repos.

Vous avez choisi d'assurer une présidence plutôt discrète...

C'est une relative discrétion que j'assume. La population se rend de plus en plus compte que ce sont les actes qui comptent et pas les promesses. L'inflation de promesses et d'affrontements théoriques est souvent inversement proportionnelle à la réalité de l'action. Or ce qui fait la dignité de la politique, c'est l'action.

Et sur le plan politique?

Il est important d'assurer de la continuité dans le changement. Ainsi, les affaires extérieures relèvent toujours de la responsabilité de Pascal Broulis, qui préside la Conférence des directeurs cantonaux. C'est ainsi que l'on peut faire avancer les choses.

Désormais, le Conseil d'État est à majorité de gauche. Cela change-t-il quelque chose?
Nous étions 3 Conseillers de gauche et nous sommes désormais 4. Si on intègre encore le léger glissement à droite du parlement, à la fin, on a plus un changement de degré que de nature. Nous n'étions pas absents avant, et nous ne sommes pas tout-puissants aujourd'hui.

Et avec le parlement?

Les débats avec le parlement sont positifs, mais à condition qu'il y ait une volonté de faire avancer l'intérêt général. Si le but est de bloquer pour bloquer, de faire de la politique politicienne, alors là on génère des tensions qui ne sont pas constructives.

Ressentez-vous ces tensions?

Le conflit démange chez certains, comme le montre par exemple la polémique en grande partie surfaite sur les subsides LAMAL. Mon devoir est de rappeler que depuis 2002, la minorité a privilégié l'intérêt général, avec un respect sincère de la collégialité, tandis que la majorité a su faire preuve d'ouverture. Il faut que cette pratique continue.

Et si ce n'était pas le cas?

Je serai transparent et c'est le peuple qui jugera. Ceux qui rompront avec cet état d'esprit récolteront la désapprobation populaire.

Quelles sont vos priorités pour 2013?
L'une d'entre elles est clairement d'augmenter le pouvoir d'achat des gens. Dès le 1er janvier, il y aura 50 francs d'allocations familiales en plus pour les jeunes en formation et, dès 2014, 30 francs supplémentaires pour les familles.

Certaines communes se plaignent d'être condamnées à contribuer à ces dépenses sans avoir été consultées...
Les allocations familiales ne sont pas payées par les communes, mais par les employeurs, avec qui nous avons trouvé un bon accord. Au sujet de la facture sociale, il y a eu une nouvelle répartition des charges en échange de points d'impôts. Sans entrer dans les détails, un bon tiers de l'augmentation des acomptes de la facture des communes est lié à un rattrapage du passé, prévu depuis longtemps.

D'autres facteurs expliquent-ils l'augmentation des dépenses sociales?
Évidemment, il y a la croissance démographique de la population cantonale, de l'ordre de 1.5%, mais aussi la révision de la Loi sur l'assurance-chômage qui a induit une augmentation du nombre de personnes émargeant à l'aide sociale. Dès lors que l'on dégrade les assurances fédérales, un report de charges s'opère sur les cantons, et il faut bien y faire face.

Le chômage vous préoccupe-t-il à ce point?
Disons que c'est une situation qui m'inquiète. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour atténuer le choc, soutenir les personnes dans le besoin, renforcer la réinsertion tout en menant une lutte contre les fraudes: il y a 10 ans, on récupérait 50 000 francs par an en moyenne, entre 3 et 5 millions aujourd'hui. Mais ces efforts sont annulés par des décisions fédérales à courte vue.

Quelles sont vos autres priorités?
Clairement, les infrastructures, pour suivre la croissance démographique: nous avons fait passer le budget des investissements de 300 à 400 millions par an, sans compter les investissements indirects. Rennaz, petite enfance, extension du CHUV, soutien aux énergies renouvelables, construction des gymnases, redémarrage des investissements pour les routes... les projets ne manquent pas.

La croissance démographique est-elle une chance ou un boulet pour le canton?

C'est une chance, car elle témoigne d’une économie dynamique. Mais gare aux fantasmes et autres extrapolations, car la démographie a souvent été instrumentalisée pour induire des peurs.

Depuis quelques années, la gauche reprend la thématique de la sécurité à son compte...

Le fait est que depuis longtemps la gauche est convaincue qu'il faut des effectifs supplémentaires, mais avec moins d’investissement dans le discours que d’autres formations politiques. Il y a eu des changements rapides dans la société et les politiques publiques mettent forcément du temps à s’adapter, car il s'agit d'un gros paquebot. Une chose est sûre: l’espace public ne doit pas être confisqué et la sécurité publique fait partie du service que l’on doit assurer à la collectivité.

Quelles sont vos plus grandes craintes pour l'année qui arrive?

Le contexte économique international qui peut créer beaucoup de problèmes. Si on assiste à une appréciation massive du franc ou un effondrement des marchés, nous aurons peu de marge de manœuvre. Jusqu'à présent, la BNS a mené une politique très responsable qui a permis de limiter les dégâts: notre industrie a réussi à absorber une appréciation de 20% du franc, c’est déjà beaucoup.

Face à ces incertitudes, de quelle marge de manœuvre le conseil d'État dispose-t-il ?

Nous devons travailler sur le long terme pour favoriser la diversification de l'économie, tout en ne laissant pas des sites importants disparaître, car cela fait perdre à la fois de l'emploi et du savoir-faire. Je peux vous dire que Novartis par exemple a été surprise par la réaction de l'État lors des débats pour le sauvetage de l'usine de Prangins.

En clair, l'État a encore un rôle à jouer...

Et comment! Pendant des années on a baigné dans un discours selon lequel le marché se régulait que l’État était un problème et pas une solution. Aujourd'hui on en revient. L'opposition à la libéralisation du secteur électrique, à la privatisation de Swisscom ou des banques cantonales a incontestablement contribué à la bonne tenue de la Suisse en ces temps difficiles. Les faits ont donné raison à une résistance qui était forte à gauche, surtout en Suisse romande, avec des relais décisifs dans l'électorat et certains milieux de droite.

Dites, il s'agit là d'un véritable discours de conseiller fédéral de gauche!

Une candidature de ce type fait partie des plaisirs que l’on ne se fait qu’une fois, même si en politique tout peut arriver (rires). C'est derrière et je suis heureux de mon sort.

Pourtant, votre dossier favori, les caisses-maladie est loin d'être réglé...

Je suis plus que jamais engagé sur ce dossier... Depuis 2007, les événements ont montré que nous n'avions pas tout à fait tort. En 2010 et 2011, les primes ont augmenté en moyenne cumulée de 16% par personne, si on considère le cas d'un adulte avec franchise à 300 francs. Or, dans le même temps, la hausse des coûts est d'à peine 4% en francs par assuré. Cherchez l’erreur! La seule explication est qu'on se fait concurrence sur la prime. On peut corriger cela par une caisse publique qui mutualisera l’encaissement des primes. Le reste pourrait être sous-traité sur le modèle de l'AVS ou de l'assurance-chômage.

Une chose est sûre, votre popularité ne se dément pas avec l'exercice du pouvoir!

Je préfère ça que l’inverse (rires)! Mais je suis conscient que c’est fragile, et qu’il ne faut pas s’en sentir prisonnier. Il est vrai que le retour positif de la population, c’est notre carburant. Quant aux attaques, même si on se carapace, cela peut blesser.