Laura Chaignat: «Vous en êtes où par rapport à vos rêves?»

HUMOUR • L’animatrice de Couleur 3 et dicodeuse émérite sur La Première monte sur scène pour un premier seule-en-scène très personnel qui oscille en permanence entre rire et émotion. La petite Laura du Jura, bien décidée à aller au bout de ses rêves, comme dans la chanson, a bien grandi et brûle les planches lausannoises de Boulimie jusqu’au 18 mars prochain. Entretien.

  • NATHAN HAUSERMANN

    NATHAN HAUSERMANN

Lausanne Cités: Pour votre premier seule-en-scène d’humour vous choisissez Phèdre. Ce n'est pas vraiment de l’humour…

Laura Chaignat: C'est vrai que c'est un peu improbable, mais en fait, ce n’est pas vraiment Phèdre, c'est «Presque Phèdre»! Ce n’est pas une adaptation de la pièce de Racine, c’est juste mon histoire. J'ai eu très tôt le rêve d'être comédienne et de jouer Phèdre au Théâtre de Vidy, à Lausanne, avec tout ce que ça représentait. Ça voulait dire un grand rôle de comédienne dans une grande ville loin du Jura, dans un grand théâtre. Ça voulait aussi dire accéder à une forme d'élite, changer de classe sociale. En fait, c'était une projection que j'ai faite très jeune de Phèdre, une sorte d’idéal rêvé, alors que finalement je ne me souviens pas vraiment de la première fois que j’ai lu la pièce. C'est l'histoire de mon rêve, l’histoire d’une petite gamine des Franches-Montagnes qui rêve de jouer Phèdre à Vidy.

Vous rêviez d’être comédienne?

J'ai commencé le théâtre avant de commencer l'école. On était dans un bled où il n'y avait personne, à part mes amis, et mes trois frangines. Enfin, je n'avais que deux frangines à l’époque. On s'est très vite retrouvé à faire du théâtre parce qu'on copiait les parents, dans la compagnie amateur de Montfaucon, qui a vu naître Lionel Frésard aussi! Mes parents ne jouaient pas, mais ils étaient toujours là pour faire la fête, pour accueillir la troupe et moi j’ai baigné là-dedans depuis toute petite. Ensuite j'ai fait des études de théâtre, mais je n'ai pas réussi à entrer à la Manufacture pour faire un bachelor. Mes parents m’ont dit que maintenant je pouvais donc penser à faire un vrai métier. Quel vrai métier peut-on envisager sans diplôme? Animatrice radio, par exemple.

Ça a été votre école de terrain?

Oui, j’ai tout appris là. D’abord à RFJ, puis j’ai rencontré Thierry Romanens, qui m’a fait rentrer aux Dicodeurs. Là, il a fallu que j’apprenne l’écriture humoristique. Puis il y a eu les Bras Cassés sur Couleur 3, la Matinale, je me suis lancée dans un petit bout de stand-up pour le Couleur 3 Comedy Club… Ça a été un long parcours, un mélange d’audace, de rencontres, de culot, de naïveté aussi, ça aide à avancer parfois....

Après votre passage sur scène au Couleur 3 Comedy Club, on s’attendait presque à vous retrouver dans un one woman show de stand-up…

Je viens du théâtre, j'ai l'équivalent de presque quatre ans d'études de théâtre complètes. La forme scénique qui m'intéresse le plus, c'est le théâtre. J'ai l’amour de l’écriture et des codes théâtraux, de ce qu’ils permettent de créer sur une scène. Je ne suis pas encore sûre d’aimer l’écriture de stand-up. Je suis pas sûre de me trouver dans cet art-là. Je fais encore un peu des tests, je cherche, mais il y a un tel mélange de stress, de pression, d’enjeux sur le rythme, le texte… Il faudrait faire des plateaux et des plateaux et des plateaux pour trouver vraiment sa patte. Et je ne prends pas le temps de le faire parce qu’ au fond de moi, je ne suis pas sûre d'en avoir envie. Alors que le théâtre, j’en suis sûre!

Finalement, on est peut-être plus protégé quand on fait du théâtre et plus exposé quand on fait du stand-up avec un rapport plus direct, plus frontal au public?

Non, pas du tout. Moi, par exemple, je me dévoile beaucoup plus au théâtre, je vais beaucoup plus dans un côté très intime, dans l’émotion, l’exploration des sentiments. Je vais me raconter pour que chaque spectateur puisse faire en même temps que moi une espèce de petit voyage introspectif avec ses rêves, tout en leur racontant le mien et mon parcours. L'idée, c'est aussi que le spectateur replonge en lui pour se dire: «Tiens, moi j'en suis où?»

C’est dans le fond la thématique principale du spectacle…

Oui c'est ça. C'était quoi votre rêve? Vous en êtes où? Est-ce qu'on a le droit de rêver de tout? Est-ce que c'est vulgaire d'afficher son rêve? Est-ce qu'on peut rêver de n'importe quoi quand on est dans un patelin aux Franches-Montagnes, dans le Jura, quand on est femme, quand on est enfant? Et vous en êtes où par rapport à vos rêves? Je profite de ces questionnements pour explorer des thématiques qui me sont chères, l'empowerment féminin, le fait de grandir en campagne, la classe sociale, l'élite, l’accès au théâtre, à la Culture «avec un grand C». Je raconte aussi ce que c'est qu'être une femme dans les médias…

Bon, mais comme c’est à Boulimie, c’est drôle aussi?

Evidemment, c'est aussi un spectacle d'humour. Enfin, je pense! C'est une bonne question. Je me réjouis de savoir ce qu'en pense le public! Il y a quand même ma plume tout le temps, avec des vannes. Mais par contre, je ne vais pas laisser quatre secondes pour que les gens rient après chaque punchline, parce que sinon ça durera trop longtemps. C'est un spectacle intime, et c'est un spectacle drôle, parce qu'il y a vraiment de quoi rire de toute cette condition, de nos rêves, de nos illusions, de nos espoirs, de nos revers aussi. C'est là où peut-être le seul en scène prend du sens.

«Presque Phèdre», de et avec Laura Chaignat

A Boulimie jusqu’au 18 mars