Lausanne, tu es la ville que je préfère au monde avec ta consonance évoquant l’eau et le prénom d’une femme. Issu des peuples lacustres, ton panorama face aux montagnes françaises est l’anoblissement des rives de ton lac Léman.
Léman, dénommant ainsi celui qui aime et, peu importe la syntaxe, puisque chaque vague venant caresser ses plages s’apparente aux sentiments. Derrière ses airs lisses et calmes, encadré par les Alpes et le Jura, il est surnommé par les grands barreurs du monde entier et les amateurs de voile: la petite mer des Alpes.
Tout Lausannois semble d’ailleurs avoir hérité d’un caractère marin, si l’on discerne chez lui cette candeur rebelle quand il arpente les rues suivant le dénivelé de la topographie mouvementée de sa ville. Ta géographie, Lausanne, nous met droit dans nos bottes, face à nous-mêmes, nous exerçant à franchir d’un pas décidé notre quotidien, adouci par l’effort poussant à la rêverie dès les premières foulées de l’enfance.
A la belle saison, quand il pleut juste un peu, cela sent bon l’été. Cela sent bon le mariage du bitume et des cieux. Macadam, écorce des cités qui fait rêver à une fratrie avec les enfants citadins tout autour de la planète, connaissant cette même solitude due au béton, aux immeubles blafards, au trafic, à l’anonymat des passants, et qui grâce à l’ennui découvrent leur imagination.
L’homme-bus, Martial, est né dans mon quartier. Un garçon élevé par une grand-mère et la passion qu’il vouait au métier de conducteur de bus. Une personnalité à part, imitant parfaitement les sons produits par l’ouverture et la fermeture des portes, le démarrage et les cliquetis des clignotants. Il circulait à travers la ville en poussant son caddie-bus devant lui et, après plusieurs années, l’entreprise de transport lui a même offert un uniforme avec la casquette de l’époque. Peu de temps après la mort de sa grand-maman, il a été interné pour plusieurs années à l’hôpital psychiatrique de Cery et il a eu la chance d’obtenir des transports publics lausannois un vrai bus qui a été parqué sur un des terrains de l’institution. Son caddie-bus, ses dessins destinés à la transformation de son engin avec des matériaux de récupération, le film et le livre racontant sa vie font partie aujourd’hui de la collection du musée de l’Art Brut.
Dans notre quartier vivait aussi un clochard en costume qui venait sonner chez nous pour vendre des morceaux de sucre récupérés sur les sous-tasses des bistros. Sans un mot audible, il tendait ses larges mains contenant son trésor quand ma mère ouvrait la porte. De bon cœur, elle lui achetait sa réserve même si l’utiliser était inenvisageable. Mon père a fait un portrait du petit homme et sa photo a été publiée en première page du quotidien de l’époque.
Lausanne, tu as connu tes heures de rébellion avec Lôsane bouge, luttant contre la course du profit, la construction d’usines nucléaires, la discrimination des homosexuels et affirmant le désenchantement d’une jeunesse qui n’a pas sa place: Rasez les Alpes qu’on voie la mer! Paul-René Martin, nouveau syndic, calmera les esprits en ouvrant la Dolce Vita, la galerie 16/25, le cabaret Orwell et finalisera son mandat en accueillant Maurice Béjart.
Lausanne, berceau de mon enfance, tu m’as façonnée autant que ma famille et, même si j’ai vécu un an à New York, une des plus grandes fresques vivantes de l’humanité, tu es la ville que je préfère au monde. Malgré ta chasse aux mendiants, ta propreté surfaite, ton architecture débridée, la suppression du Buffet de la gare, ton goût pour la surconsommation, j’aime tes rues piétonnes, tes habitants habités, ta tour de Bel Air, tes pavés, ta cathédrale, tes parcs, tes saisons. Lausanne, toi qui nous tient en éveil afin de gravir les chemins menant aux pics de l’existence qui nous attend.