Travailler plus pour gagner plus? A Prilly, la question divise

CONTROVERSE • Le Conseil communal de Prilly a accepté une augmentation de 5% du taux d’activité, et donc de leur salaire, de ses cinq municipaux. De quoi susciter de nombreux débats en raison du déficit prévu cette année.

  • La polémique prilléranne interroge sur la professionnalisation des élus. MISSON-TILLE

    La polémique prilléranne interroge sur la professionnalisation des élus. MISSON-TILLE

La demande avait été formulée par l’Exécutif lui-même: augmenter de 5% le taux d’activité de chaque municipal, en raison de la charge de travail en constante augmentation. Si le syndic voit son taux de travail passer de 75% à 80% et les municipaux de 55% à 60%, il n’en reste pas moins que ce préavis a suscité des échanges passionnés, venant de tous bords politiques. Car qui dit augmentation du taux d’activité, dit également hausse de salaire.

Ainsi, des élus du PLR ont remis en question la nécessité d’un tel changement dans un contexte financier globalement difficile pour la ville. «La commune a investi beaucoup ces dernières années, et nous avons un déficit important budgétisé pour 2022, ce qui est peu souhaitable pour une collectivité, note le conseiller communal Philippe Schroff. Notre parti souhaite éviter l’ajout de dépenses pérennes qui chargent encore plus le budget. C’est un mauvais signal que nous envoyons.»

Une augmentation nécessaire

Tous les arguments étaient bons pour justifier le fait que les municipaux pouvaient s’en sortir sans cela. Qu’il s’agisse des postes administratifs supplémentaires validés par le Conseil qui permettraient «de représenter une force de travail supplémentaire», ou encore d’un appel à la patience, le temps que les deux municipaux nouvellement élus trouvent leur rythme de croisière. Du côté de la gauche, bien que l’argument financier n’a pas été ignoré, et que de nombreux conseillers se soient également montrés dubitatifs, cette augmentation de taux est aujourd’hui davantage considérée comme une nécessité, estime Patricia Clivaz-Luchez, présidente du groupe socialiste au conseil communal: «Au vu des grands travaux et transformations qui attendent Prilly, nous devons donner les moyens à la municipalité de le faire.»

Système de milice sur la sellette

Et l’on en vient effectivement à la nécessité de professionnalisation des élus, dans des contextes d’urbanisation comme c’est le cas à Prilly. L’un des points s’étant en effet invités dans le débat touchait au système de milice, qui veut qu’un élu soit faiblement rémunéré, car sa fonction serait considérée comme honorifique. Alain Gillièron, syndic et membre de l’Exécutif depuis 23 ans, affirme que «le principe de milice est de moins en moins en phase avec la réalité. Le nombre astronomique de projets nécessite un investissement personnel difficilement conciliable avec un autre emploi. Ces 15 dernières années, la charge de travail est devenue bien plus importante, la société s’est complexifiée. Les organismes et structures intercommunales occasionnent un nombre de séances qui n’existaient pas avant.»

La fin des «élus du dimanche»

Un argument partagé par Karim Lasseb, politologue à l’Université de Lausanne, qui a étudié l’évolution des salaires et profils des élus des exécutifs de quatre grandes villes suisses. Il va même plus loin: selon ses recherches, le système de milice est un mythe, apparu au tournant des années 60 et qui a connu une montée en puissance sous l’impulsion de la droite vers le début des années 2000. «Il est dans la tradition des partis conservateurs de s’opposer à une augmentation des dépenses publiques. La crainte est que cela représente une trop forte autonomisation du personnel politique par rapport aux besoins de l’économie privée». Dans une commune en pleine expansion, avoir des «élus du dimanche» ne suffit plus. Karim Lasseb poursuit: «Il y a un écart entre le système de milice supposé, et la pression d’avoir des élus performants. Si ces derniers doivent être sérieux, cela paraît normal qu’ils aient le temps nécessaire pour exercer leur fonction et qu’ils soient payés pour le faire.» Notons que la fonction de municipal représente d’ailleurs encore un nombre d’heures bénévoles important. Le syndic joue le jeu de la transparence: sa fonction l’occupe en moyenne 50 heures par semaine. «Passer à un taux rémunéré de 80% ne me paraît donc pas si éhonté que cela…», conclut-il.