Agitée, subversive, détournée: éternelle Saint-Valentin!

- Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la Saint Valentin est universelle, même si peu connaissent sa vraie histoire.
- Agitée, subversive et ponctuée de surprises, elle est pourtant plus que surprenante.
- Le célèbre sociologue des couples Jean-Claude Kaufmann nous le prouve dans «Saint-Valentin, mon amour!»,
un ouvrage détonnant.

  • Saint-Valentin, mon amour!

    Saint-Valentin, mon amour!

  •  Love

  •  Jean-Claude Kaufmann

    Jean-Claude Kaufmann

  •  Jean-Claude Kaufmann

    Jean-Claude Kaufmann

«Dans la société d’aujourd’hui, il y a un besoin d’amour qui ne demande qu’à s’exprimer.»

Jean-Claude Kaufmann

Lausanne Cités: Aux origines de la Saint-Valentin, il n’y a pas une fête, mais des fêtes...

Jean-Claude Kaufmann: L’origine de la Saint-Valentin, c’est effectivement toutes les fêtes amoureuses de février, toutes les fêtes libertines qui avaient lieu à cette période comme autant de traditions, à l’instar des fêtes du loup dans les régions montagneuses de l’Europe. Ces traditions remontent à plus de 3000 ans.

À l’origine de la Saint-Valentin, on évoque pourtant souvent une fête romaine, les Lupercules, durant laquelle de jeunes Romains se baladaient nus et fouettaient les jeunes femmes dans les rues de la Ville éternelle. Mythe ou réalité?

C’est une réalité. Mais ce qu’on appelait alors les Lupercules, une manifestation particulière qui va jouer un rôle un peu spécial dans l’histoire de la Saint-Valentin, puisqu’elle se déroule le 15 février et que sa date va peu à peu glisser vers le 14. Alors c’est vrai, les jeunes hommes se baladaient à poil. Mais attention, le code de la pudeur de l’époque n’était pas le même qu’aujourd’hui, ce n’était pas obscène. In fine, c’était une fête de la fertilité sur fond religieux, une fête sensuelle, érotique et fort joyeuse ...

Mais elle se fêtait sur un gros quiproquo aussi, puisqu’on prête à l’Église d’avoir inventé cette fête…

Elle n’est pas pour rien dans l’affaire. Elle l’a inventée malgré elle, tout en essayant de la combattre, au moins jusqu’au XIXe siècle.

Pourquoi?

Parce qu’on vit à ce moment-là dans une société où il y a une morale collective. On ne fait pas n’importe quoi. Et c’est l’Église qui est la gardienne des mœurs. Donc elle se doit de contrôler la situation, mais en même temps pour la jeunesse c’est dur, car dans cet ordre moral, beaucoup de choses sont interdites, dont la sexualité. On se marie souvent tard. Dans les jeunes corps, ça bouillonne un petit peu et, notamment à l’approche du printemps, l’Eglise essaie de contrôler les pulsionset de faire que ça ne dérape pas trop.

C’est dans ce contexte que le Pape Gélase a une idée plutôt futée...

Oui, il a l’idée d’allumer un contre-feu en faisant une fête religieuse et en organisant notamment des processions et des messes. Il commence par la Chandeleur le 2 février où, d’après la coutume, les paysans parcourent les champs en portant des flambeaux pour purifier la terre avant de semer. Et ça marche! Il instaure cette fête alors que les fêtes à connotation sexuelle qui ont lieu le 15 février continuent et en crée une autre le 14. Or, il se trouve que cette date coïncide avec la commémoration de la mort de Saint-Valentin qui n’a absolument rien à voir avec cela. Saint-Valentin est donc entré dans l’histoire simplement parce qu’il était né un 14 février. Son nom s’est imposé par lui-même.

Messes et processions d’un côté, libertinage de l’autre. Comment expliquer que cette double approche ait pu coexister ?

C’est une soupape de sûreté. Il se passe exactement la même chose aujourd’hui dans certains pays musulmans. Il y a une interdiction officielle, mais la jeunesse ne peut pas l’accepter. On essaie donc de délimiter la tolérance en organisant des rituels souvent gentillets, mais qui permettent de contrôler la situation.

Le phénomène a duré durant tout le Moyen Âge et, à un moment donné, un Vaudois a même joué un rôle majeur dans la popularisation de cette fête…

Là, on est dans une autre origine de la Saint-Valentin, pas celle des fêtes un peu libertines et joyeuses qu’on connaît, mais dans celle de la poésie courtoise qui a cours durant les XIIe et XIIIe siècles, celle d’amours impossibles desquelles émergent le chagrin et la souffrance. Othon de Grandson en est un parfait illustrateur. Il est chevalier. Il va mourir dans un duel. Il chante tout le temps ses amours difficiles et beaucoup de ses poèmes tournent autour du thème de la Saint-Valentin. C’est finalement le premier qui va mettre en scène Saint-Valentin en s’y référant dans presque chacun de ses poèmes malheureux. Il a joué un rôle historique important.

À partir de là, il y aura des reprises poétiques plus joyeuses et un désir d’expression sentimental qui va finir par s’épanouir très fortement avec le romantisme et à travers lequel les hommes vont imaginer des poèmes d’amour pour leurs belles. Le phénomène va ensuite se banaliser par le biais de cartes, puis de cartes postales avec des mots d’amour...

Aujourd’hui on fête la Saint -Valentin un peu partout, mais on tente aussi de la bannir ou de l’interdire pour des questions religieuses…

Une trentaine de pays à travers la planète la banissent. Ce sont souvent des pays musulmans. Comme chez nous par le passé, on a peur que la Saint-Valentin soit une faille à la liberté d’expression de la jeunesse et que tout s’effondre dans la société. La deuxième raison de bannissement, c’est la peur du sentiment. Dans ces sociétés traditionnelles, chacun occupe sa place. Dans le couple aussi, on a des sentiments, mais on ne doit pas les exprimer.

Au-delà de la récupération largement commerciale qui en est faite aujourd’hui, vous le sociologue spécialiste du couple vous dites: «Ne laissez pas passer cette date sans rien faire… »

Au-delà du conformisme exprimé par beaucoup pour fêter ce rendez-vous, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans la société d’aujourd’hui, il y a un besoin, un désir d’amour qui ne demande qu’à s’exprimer. On ne dit jamais assez son amour. Plus globalement, on a besoin d’une société plus humaine, plus chaleureuse. C’est cette idée-là aussi qu’on pourrait fêter chaque 14 février.

«Saint-Valentin, mon amour!», Jean-Claude-Kaufmann, Éditions Les Liens qui libérent