Alain Joseph: «Je vais rester un observateur attentif et discret»

  •  Il y a 10 jours, Alain Joseph transmettait la présidence du Lausanne-Sport au patron de l’entreprise Ineos.
  • Atypique, l’homme porte un regard distancié sur un sport dont il a contribué à écrire l’histoire lausannoise
  • Retour sans langue de bois sur 10 ans d’une aventure unique, qui laisse un homme «soulagé et serein

  • Président atypique, Alain Joseph s’en va avec le sentiment du devoir accompli. verissimo

    Président atypique, Alain Joseph s’en va avec le sentiment du devoir accompli. verissimo

«J’ai appris à compter grâce au football»

«Le foot est un sport de gens qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas!»

La vente du Lausanne-Sport au groupe Ineos a été annoncée la semaine dernière. Dans quel état d’esprit êtes-vous?

Je suis soulagé, heureux et serein. J’étais arrivé au bout d’un cycle, et il me fallait passer à autre chose. J’ai l’impression de vivre un petit rêve, parce que je ne pensais pas avoir la chance de pouvoir sortir de manière aussi confortable, sans aucun regret, et avec le sentiment d’avoir pu organiser une suite idéale pour le club. Réussir à retrouver un repreneur idéal est un soulagement.

Ineos, c’est le repreneur idéal?

J’ai eu l’immense chance d’avoir reçu avant deux offres très sérieuses, que j’ai refusées car elles ne correspondaient pas à ce que je pensais être un bon projet aussi bien pour le club que pour moi. Aujourd’hui, je suis très heureux d’avoir pu vendre à un groupe solide sur le plan financier, bien implanté dans la région et qui en plus était déjà au LHC. Je ne pouvais donc espérer meilleure suite. Maintenant, l’histoire ne fait que commencer et je resterai un observateur aussi attentif que discret, car je suis révolté par les anciens présidents qui critiquent.

Dans quel état est le Lausanne-Sport aujourd’hui?

Ce club est comme un adolescent qui doit devenir adulte, pour espérer pouvoir devenir, un jour peut-être, un champion. J’ai le sentiment d’avoir accompli la mission et nous avons tous collectivement fait du bon boulot.

Quel a été votre pire moment en 10 ans à la tête du LS?

C’est anecdotique, mais cela représente bien ce que peut être la responsabilité d’un club. C’était un samedi de décembre 2013, lorsque je suis tombé sur un titre du Matin: «Le Lausanne-Sport est le pire club d’Europe». Cela m’a beaucoup fait souffrir et j’ai ressenti une grande solitude. Un club, c’est du collectif sauf pour le président, l’entraîneur et le gardien de but qui assument tout à titre personnel.

Finalement, quel regard portez-vous sur le monde du football?

Le foot, c’est mon sport, celui que je regarde à la télé, celui que j’ai pratiqué et que je connais le mieux. Pourtant je n’ai pas réussi à me retrouver dans le milieu professionnel de ce sport, composé en grande partie de gens qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas.

Qu’entendez-vous par «ne pas vous retrouver»?

C’est un milieu où j’ai ressenti qu’il faut être diplômé pro UEFA pour être écouté par les pros, alors qu’eux-mêmes peuvent commettre des erreurs qui peuvent coûter de l’argent, et même une relégation à un club. Le football, c’est deux dimensions: il y a une partie qui en fait un vrai métier technique et que moi-même je maîtrise plutôt mal. L’autre partie, celle qui est universelle et qui consiste à gérer et organiser un groupe, je la comprends en revanche. Le problème des professionnels du foot c’est qu’ils sont persuadés d’être dans le vrai, or ils n’y sont pas toujours car ils vivent en vase clos.

Au fond, n’est-ce pas vous même qui êtes trop atypique pour ce milieu?

Non, parce que je crois que nous, dirigeants de clubs de foot avons tous à peu près les mêmes caractéristiques. Les patrons du Servette ou de Xamax ne sont pas si éloignés de moi. J’ai su me faire écouter et respecter, mais ne venant pas du milieu diplômé ça a dû être au forceps. Les décisions importantes avec Jeff (Jean-François Collet, ndlr), nous les avons fait prendre à nos entraîneurs. Par la suite, les faits nous ont donné raison, même si ces derniers ne le reconnaîtront jamais car c’est un milieu de grands egos.

En parlant d’ego, vous n’avez pas joué au Constantin, en virant les entraîneurs les uns après les autres…

En tout cas, chaque fois que j’ai dû prendre des décisions de ce type, je les ai prises comme Constantin, de manière égoïste et déterminée, car j’étais intimement convaincu que c’était la bonne décision. Bien sûr, je suis moins sanguin et plus raisonnable que lui, en étant bien conscient que c’est ce côté passionné et déraisonnable qui a fait sa force.

Y a-t-il une différence entre gérer une entreprise et un club de foot?

Bien sûr, j’en vois au moins deux. Gérer un club, c’est gérer un bien privé, mais qui est aussi public car tout le monde donne son avis, on est donc observé de partout. Et puis, une entreprise se doit d’être rentable, alors que le foot c’est un gouffre à fric. Avec Jeff, nous avons repris un club au bord de la faillite et nous l’avons amené à disposer de ressources suffisantes, ce qui pour moi est une grande fierté.

Comment y êtes-vous parvenus? C’est grâce à Jeff, qui a eu le courage il y a dix ans, de reprendre un club avec de faibles moyens financiers et d’inculquer l’idée que chaque franc doit être compté et très justement investi. Sans lui, mon bilan n’aurait pas été aussi bon.

A titre personnel, avez-vous gagné de l’argent avec le LS ?

Oui et non. Bien sûr, j’ai fait une plus-value avec la revente, dans la mesure où je l’ai vendu plus cher que ce que je l’ai acheté. Mais si je prends en compte ce que j’ai injecté dans le sponsoring, dans le poste et demi de travail que j’ai dû créer dans mon entreprise pour y faire une partie de mon boulot et le burn out que j’ai fait il y a un an et demi, je suis plutôt loin du compte…

Aujourd’hui, vous n’avez plus de lien avec le LS ?

Je suis encore formellement président du club au moins pour un mois, jusqu’à son assemblée générale, qui surviendra après la validation de la vente par la Swiss Football league. Mais depuis la conférence de presse, je ne me sens plus en charge des responsabilités et il me reste juste à dire au revoir à l’équipe, dans les jours qui viennent.

Et votre entreprise, Grand Chelem?

Grand Chelem détient jusqu’au 30 juin 2018 plusieurs mandats de gestion, en termes d’administration de finances et de sponsoring. On risque de les perdre à ce moment-là, mais c’était le deal. A nous de relever le défi de tenter de les garder.