Ces pères séparés ou divorcés que l’on continue à maltraiter

  • Entrée en vigueur en 2014, la loi sur l’autorité parentale conjointe a diminué les conflits en cas de séparation.
  • Pour les associations de pères, ces derniers restent encore bien trop souvent perçus comme de simples pourvoyeurs-payeurs.
  • Nombre d’entre eux sombrent en outre dans la précarité, sans possibilité de bénéficier de l’aide sociale.

  • Les pères, grands oubliés des familles séparées? ISTOCK

    Les pères, grands oubliés des familles séparées? ISTOCK

«L’autorité parentale conjointe, c’est juste une pommade pour calmer les pères»

Julien Dura, Mouvement pour la condition paternelle Vaud.

«Nous étions à l’Âge de pierre, nous voilà désormais à la Préhistoire. Autant dire qu’il reste encore pas mal de chemin à parcourir». Pour Julien Dura, porte parole du Mouvement de la condition paternelle Vaud, les progrès en termes de droits restent très insuffisants pour les pères séparés de la mère de leurs enfants.

L’Âge de pierre, c’était avant l’entrée en vigueur, en 2014, de la loi sur l’autorité parentale conjointe. Heureusement, depuis près de trois ans donc, les deux parents, quel que soit leur état-civil, mariés, divorcés, en concubinage, séparés, détiennent par défaut et conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants.

Amélioration

Une amélioration évidente constatée par Patrick Robinson, porte-parole de la Coordination romande des organisations paternelles. «C’est clair, constate Patrick Robinson, il y a désormais bien moins de conflits autour de l’autorité parentale, et tous les petits jeux et chantages qui se faisaient autour de cette question sont désormais largement tombés. Cette nouvelle loi a surtout été une grande avancée pour les 20% de pères non mariés qui ne pouvaient obtenir l’autorité parentale que si madame le voulait bien!»

Sauf que pour être très positive, l’autorité parentale conjointe n’a pas réglé tous les problèmes, loin s’en faut. «Tout simplement parce que les mesures d’accompagnement que l’on avait demandées n’avaient pas été obtenues, explique Julien Dura. C’est-à-dire la mise en place, comme on le constate dans nombre de pays voisins, d’une médiation ordonnée et d’un tribunal de famille. Aujourd’hui, les juges ne sont pas spécifiquement formés à ces questions, alors même que le système vise clairement, en cas de conflit, à disqualifier les pères, à les décourager jusqu’à ce qu’ils renoncent à leurs droits. L’autorité parentale, n’est au fond qu’une pommade destinée à calmer les pères, mais qui ne règle pas grand chose sur le fond».

Le fond, c’est évidemment la question économique, tant les pères restent souvent perçus, aussi bien par la justice que par les services sociaux, comme des pourvoyeurs- payeurs.

«Les femmes s’accrochent à la conviction que les hommes n’ont qu’à payer, expliquait ainsi l’avocate genevoise Anne Rieser dans une interview au journal Le Temps, publiée il y a quelques années. Les hommes eux se sentent peu reconnus (...) s’ils ont réduit leur temps de travail, fait passer leur carrière au second plan pour s’occuper davantage des enfants, ils rencontrent souvent l’opprobre social. Il ne fait pas bon être un homme dans un divorce».

Conflits à venir

Et la situation ne risque pas de s’améliorer. Depuis ce 1er janvier est entrée en vigueur la nouvelle loi sur les contributions d’entretien, qui laisse présager une augmentation notable des conflits. «Si Madame obtient la garde, le père non marié devra désormais la dédommager pour l’encadrement de l’enfant, et les contributions pour enfants vont vraisemblablement augmenter dans tous les cas, explique Patrick Robinson. Le principe du père pourvoyeur-payeur revient donc en force et, les pères risquent de s’en retrouver encore plus précarisés».

Ceci d’autant que les exemples de précarisation de pères en raison d’une séparation ou d’un divorce ne manquent pas. «La jurisprudence du Tribunal fédéral sur le divorce prévoit qu’une maman peut ne pas travailler jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de 10 ans, et à 50% entre 10 et 16 ans. Autant dire qu’elle peut se payer un congé maternité de 10 ans aux frais du père, et ce alors même qu’on nous gargarise de discours sur l’égalité», témoigne avec amertume, un père qui souhaite garder l’anonymat. Avant d’ajouter: «On ne s’en rend pas compte, mais le système fait plonger nombre de pères dans une grande pauvreté, et sans possibilité de recours à l’aide sociale».

Dans le calcul des minimas en effet, l’aide sociale ne prend pas en compte les sommes versées par les pères au titre des pensions alimentaires et qui dans la réalité se retrouvent avec une somme très insuffisante pour survivre. «Bien des pères vivent dans une grande pauvreté et n’apparaissent pas dans les statistiques, affirme ainsi Patrick Robinson. Le système est pervers car d’un côté ils n’ont pas droit aux aides sociales car les pensions versées ne sont pas prises en compte alors même que leur revenu net réel est insuffisant et, d’un autre, ils ont besoin d’avoir un appartement suffisamment grand pour accueillir leurs enfants dignement».

Un congé paternité, maintenant?

L’autre grande revendication des mouvements de défense de la condition paternelle est l’obtention d’un véritable congé de paternité. Lancée en 2016, une initiative, demandant 20 jours de congé paternité payés et pouvant être pris de manière flexible dans le délai d’un an après la naissance, est actuellement en cours de récolte de signatures. Représentatives de 140 organisations, quatre organisations faîtières des travailleurs et travailleuses (Travail.Suisse), des hommes (männer.ch), des femmes ( Alliance F) et des familles ( Pro Familia Schweiz ) se sont réunies pour former l’association «Le congé paternité maintenant !» organisant la récolte de signatures. «Incontestablement, ce serait un premier pas vers l’égalité, mais pour une fois dans l’autre sens, résume Julien Dura, porte-parole du Mouvement de la condition paternelle Vaud.