Comment Lausanne a sauvé «Le petit dragon chinois»

Connue pour ses vertus aphrodisiaques, appréciée des collectionneurs, la vipère verte du Mont Mang Shan en Chine est menacée d’extinction.

Lausanne est l’épicentre du programme mondial de conservation de l’espèce, puisque son responsable est senior curateur à Aquatis.

Après des années d’efforts, «Le petit dragon chinois» est presque sauvé. Histoire d’une aventure hors norme.

  • Michel Ansermet, senior curateur à Aquatis, et responsable du programme de conservation de la vipère verte du Mont de Mang Shan. CA

    Michel Ansermet, senior curateur à Aquatis, et responsable du programme de conservation de la vipère verte du Mont de Mang Shan. CA

«Aquatis concentre près de 80% de la diversité génétique de l’espèce»

Michel Ansermet, senior curateur à Aquatis

Elle a fière allure dans son magnifique enclos. Et s’ils arrivent à la dénicher au milieu de la végétation qui reproduit à l’identique son habitat naturel, nul doute que les visiteurs d’Aquatis la trouveront magnifique avec sa couleur vert marbré. D’autant qu’avec les quelque 2 mètres 20 de longueur qu’elle atteindra à l’âge adulte, cette vipère et les quelques autres reptiles de la même espèce qui l’accompagnent, auront de quoi impressionner les amateurs de reptiles.

Mais que font ces vipères vertes du Mont Mang Shan, ici à Lausanne, si loin de chez elles?

Il y a une quinzaine d’années, il en restait à peine 350 spécimens répartis sur les 105 km2 de son habitat naturel, en Chine. Autant dire que l’animal est particulièrement menacé, promis à la quasi-disparition, et inscrit sur la liste officielle des espèces en voie d’extinction.

Surchasse et contrebande

Et pour cause. L’espèce, découverte par hasard en 1989 et surnommée «Le petit dragon chinois» s’est vu reconnaître, comme souvent en Asie, des vertus aphrodisiaques. Avec toutes les conséquences en termes de surchasse, de marché noir et de contrebande. Car en Europe et aux Etats-Unis, l’animal dont le prix pouvait atteindre jusqu’à 6000 francs pièce, a fait le bonheur d’un grand nombre de collectionneurs plus ou moins indélicats, grâce à de multiples filières d’exportation illégale. Avec pour inévitable et triste résultat une raréfaction progressive du nombre d’individus vivant en liberté sur le Mont Mang Shan.

C’est en 2004 que Michel Ansermet, aujourd’hui senior curateur d’Aquatis se voit confier 2 animaux, séquestrés par la douane suisse pour cause d’importation illégale. «C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser et à étudier cette espèce, se souvient-il. En partant de zéro, puis en prenant contact avec les Chinois, je me suis peu à peu documenté pour en apprendre le maximum».

C’est également le moment où les organisations d’envergure internationale comme le WWF et l’IUCN, mais aussi de nombreuses ONG prennent conscience du risque d’extinction qu’encourt la vipère de Mang Shan.

Une dizaine d’années plus tard, après de nombreuses procédures visant à étudier la faisabilité d’une protection de l’animal, Michel Ansermet est nommé responsable mondial du programme international de conservation de la vipère. Sa première tâche - elle durera 2 ans - est d’engager un recensement à l’échelle de la planète de tous les spécimens en captivité. «L’objectif en contactant aussi bien les détenteurs privés que les zoos, était d’identifier les animaux génétiquement intéressants». Ensuite, des échanges d’animaux ont été opérés entre institutions pour favoriser la reproduction de l’espèce et surtout préserver sa diversité génétique.

Avec une difficulté: même s’il est peu venimeux et d’un tempérament calme, l’animal, facile à élever, n’arrive à maturité sexuelle qu’à l’âge de 7 ans, laissant entrevoir des cycles de reproduction très longs. Résultat: on ne recense aujourd’hui qu’environ 190 vipères en captivité dans le monde entier, un chiffre a priori modeste mais qui laisse entrevoir à moyen terme le sauvetage de l’espèce.

«Le programme commence à porter ses fruits, observe, satisfait, Michel Ansermet. Rien qu’ici à Aquatis où on concentre près de 80% de la diversité génétique de l’espèce, on attend pour l’année prochaine 50 à 60 bébés et d’ici 2 à 3 ans, on pourra considérer que la vipère aura été préservée de l’extinction.»

Parc national en Chine

Côté chinois également, on ne sera évidemment pas resté inactif et les autorités se sont également largement impliquées dans la préservation de l’espèce. Non seulement ils se sont eux aussi lancés dans l’élevage du reptile, mais la zone d’habitation du «petit dragon chinois» a également été déclarée Parc national, ce qui permettra à terme d’accueillir les futures vipères vertes élevées ex-situ, tout en préservant le site de la déforestation.

«Même lorsque l’on est une petite institution privée comme Aquatis, on peut arriver, avec beaucoup d’énergie et de bonne volonté à obtenir des résultats, se réjouit Michel Ansermet. En tant que membres de l’Association européenne des zoos et aquariums, et comme toute institution zoologique, il est dans notre ADN et notre mission de nous impliquer dans la conservation des espèces». Et d’annoncer: «d’ailleurs, nous pensons mettre l’expérience acquise avec la vipère au profit d’un futur programme de conservation mais cette fois-ci au bénéfice d’un poisson d’eau douce menacé.» Charaf Abdessemed

Inonder les marchés chinois

Le procédé peut paraître peu orthodoxe, mais à la guerre comme à la guerre. Car à quoi bon s’acharner à préserver l’espèce si les facteurs qui ont conduit à sa disparition demeurent prégnants? L’idée en tout cas est venue de l’ambassadeur de Chine en Belgique, lui-même scientifique. Dès 2020, la moitié de la «surproduction en élevage» de vipères vertes du Mont Mang Shan sera dévolue à... la commercialisation sur les marchés chinois. «On procédera de la sorte durant 4 à 5 ans, explique Michel Ansermet. C’est un peu paradoxal, ça fait mal au cœur mais c’est un mal nécessaire». Objectif de la manœuvre: tuer le marché noir en faisant chuter les prix et tarir ainsi les filières d’exportation et d’exploitation de la vipère verte.