Covid-19: «Le canton n’a pas commis d’erreur catastrophique»

La presse alémanique accuse le canton de Vaud de ne pas en faire assez contre l’épidémie de Covid.
Vaud serait même un danger pour tout le reste de la Suisse.
Professeur au laboratoire de virologie et génétique de l’EPFL, Didier Trono remet l’église au milieu du village.

  • Didier Trono est formel: le canton de Vaud n’a été ni pire ni meilleur que les autres. VERISSSIMO

    Didier Trono est formel: le canton de Vaud n’a été ni pire ni meilleur que les autres. VERISSSIMO

«La réalité, c’est que finalement la plupart des cantons ont tout simplement travaillé au jugé»

Les journaux alémaniques remettent en question la gestion de la pandémie par les autorités vaudoises. Qu’en pensez-vous ?
D’une manière générale, si on prend en compte la population jeune du canton qui avait besoin d’activités estivales et le fait que l’on est limitrophes de pays très touchés, il est clair que nous étions dans une situation à risques. Mais il n’y a pas eu d’erreur catastrophique ou grossière au niveau du canton de Vaud. Peut-être y a-t-il eu deux ou trois détails qui font que l’on peut dire rétrospectivement que l’on aurait pu réagir plus tôt, comme par exemple pour les fêtes nocturnes.

A bien des égards, les Genevois ont réagi plus tôt qu’ici...
Les Genevois ont pris des décisions plus tôt, c’est vrai en particulier en ce qui concerne par exemple les fermetures des clubs. Mais il faut dire qu’ils avaient eu des démonstrations frappantes du fait que les maintenir ouverts était dangereux. Peut-être que dans le canton de Vaud, la pression de certaines professions était plus importante, leur soutien politique plus efficace, ou l’implication des clubs moins apparente. C’est difficile à dire et la réalité, c’est que finalement la plupart des cantons ont tout simplement travaillé au jugé. On parle de la Suisse alémanique et c’est vrai par exemple que le canton de Zurich enregistre peu de cas. Mais la Ville de Zurich, comme toutes les villes suisses, est plutôt bien touchée.

Tout de même n’aurait-on pas pu mettre en garde plus vivement la population pour empêcher le relâchement collectif que l’on a pu observer?
Que ce soit dans le canton ou au niveau de la Suisse entière, après le confinement, tout le monde voulait que ça s’arrête et que chacun puisse passer un bon été, et on peut y ajouter d’importantes pressions économiques. Moi, en tant que scientifique je n’ai pas besoin de plaire, mais les politiciens ont cette exigence et c’est bien normal s’ils veulent être écoutés. Cela étant, très franchement, je ne pense pas que les politiciens vaudois aient par exemple été très différents dans leur communication que ne l’ont été les politiciens fédéraux…

Les cantons ont travaillé au jugé, dites-vous. N’est-ce pas justement le fond du problème?
En fait, ce ne sont ni les politiques cantonales, ni les politiques locales et pas même une politique unifiée au niveau fédéral qui permettra de régler le problème. Au niveau national, demander aux Grisons de prendre des mesures drastiques alors qu’ils ont peu de cas n’aurait pas de sens. Agir au niveau cantonal est également insuffisant: fermer les clubs uniquement à Genève entraîne par exemple un report de fréquentation sur Lausanne.

Que faut-il donc faire?
Agir au niveau régional. Ainsi les cantons lémaniques commencent enfin à se concerter pour prendre des mesures ensemble et gérer le problème.

Le canton de Vaud vient de décider toute une série de nouvelles mesures…
Une chose est sûre: les hôpitaux, aussi bien le CHUV que les HUG, commencent à accueillir de plus en plus de cas de Covid-19 avec une possibilité de saturation et le risque que des patients présentant d’autres pathologies ne puissent plus être pris en charge. La réaction du canton est bonne et des décisions difficiles sont prises sur le plan politique. Espérons qu’elles vont permettre de juguler la croissance exponentielle des cas qui pourraient arriver! La population doit être prête à ce que des mesures plus sévères soient nécessaires, comme par exemple la limitation du nombre de personnes dans les rassemblements, etc.

Freiner à nouveau la progression des cas, c’est vraiment possible?
La population est arrivée une première fois à juguler l’épidémie grâce à un confinement relativement peu contraignant. Nous pouvons y arriver à nouveau et éviter d’y revenir, mais à condition que nous retrouvions collectivement la discipline qui a permis de limiter la première vague: masques, mesures barrières, limitation des rassemblements…

Certains dénoncent ces mesures comme étant liberticides...
Ce qui est liberticide, c’est de perdre son boulot, de ne pas pouvoir aller à l’école, de perdre son père ou sa mère. Pas de porter un masque ou de se désinfecter les mains avant d’entrer dans un magasin…

Une polémique stérile, l'éditorial de Philippe Kottelat

Osons le dire! Certains de nos confrères ont parfois la gachette facile. En l’occurence nos confrères alémaniques qui, la semaine dernière, n’ont pas hésité à sortir la grosse artillerie contre le gouvernement vaudois. La raison de cette attaque frontale: sa gestion de la crise du coronavirus et l’explosion de cas positifs annoncés à travers le canton. «Le canton de Vaud représente un danger pour la Suisse», a même osé le Tages-Anzeiger craignant que la contamination vaudoise ne se dissémine dans tout le pays. Verdict expéditif: les autorités ont affiché des «attitudes désinvoltes» et une «nonchalance» coupable, privilégiant l’économie à la santé. En d’autres termes, plus crus, le Canton a merdé dans la gestion de la pandémie.

De quoi paniquer? Que les Vaudois se rassurent. Et peut-être le Conseil d’Etat aussi. Le Canton «n’a pas commis d’erreur catastrophique ou grossière. Tout au plus deux ou trois détails qui font que l’on peut dire rétrospectivement qu’on aurait pu réagir plus tôt!» Qui tient ce langage? Didier Trono, qui n’est pas n’importe qui. Ancien du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) et du Salk Institute de San Diego, professeur au laboratoire de virologie et génétique de l’EPFL, membre de la Task Force Covid de la Confédération, l’homme est d’une rigueur scientifique à toute épreuve et n’a, comme il le dit lui-même, pas besoin de plaire. Ou de vendre quoi que ce soit! Son analyse (lire article ci-contre), même si elle est nuancée, contredit tous les titres et articles parus de la presse alémanique.

De quoi faire taire les mauvaises langues qui ont, au passage, voulu casser du «Welsche» pour finalement ne réussir à déclencher qu’une polémique stérile.