Dans l’enfer du trouble bipolaire: une Lausannoise raconte

- 5 à 6% des Lausannois souffriraient de troubles bipolaires, une pathologie psychiatrique qui apparaît chez le jeune adulte.
- Grave, cette maladie peut détruire la vie de ceux qui en souffrent et de leur entourage.
- Ancienne préfète de Lausanne, et conjointe d'un époux bipolaire, Anne Bornand livre un témoignage édifiant dans un livre saisissant.

«Au bout d’un moment, ma vie est devenue un véritable enfer. Quand vous vous levez le matin, et que vous ne savez pas dans quelle phase sera votre conjoint, c’est assez terrible. Quand je l’ai connu, c’était pourtant un homme bon et généreux. Mais la maladie a tout détruit».

Pour Anne Bornand, âgée de 71 ans et retraitée depuis 2010, la vie n’a pas été un long fleuve tranquille, loin de là. Durant plus de 40 ans, cette Lausannoise qui a été tout à tour enseignante d’histoire, juge assesseur au Tribunal d’arrondissement de Lausanne, présidente du conseil communal de Pully, membre de la Constituante vaudoise et même préfète de Lausanne a dû dans sa vie privée affronter un drame intime qui a failli la détruire: une vie commune avec un conjoint atteint d’une maladie psychiatrique méconnue, le trouble bipolaire. Une vie dont elle raconte les affres dans un livre publié il y a quelques mois aux éditions Mon Village, et qui évoque «harcèlement, manipulation, alcool, hospitalisations et séjours psychiatriques, dénigrement et violences psychologiques».

Ce témoignage public honnête et humble, celle qui est «redevenue une citoyenne vaudoise comme les autres le veut comme une «libération de la parole destinée aussi à aider les autres», dans un monde «où rien n’est fait pour les proches de ceux qui souffrent de cette maladie destructrice».

Définition

Mais qu’est donc ce terrible trouble bipolaire dont souffriraient selon une étude intitulée PsyCoLaus menée de 2004 à 2008, entre 5 à 6% des Lausannois? Anciennement connu sous le nom de trouble maniaco-dépressif, le trouble bipolaire est une maladie qui affecte l’humeur de la personne qui en souffre, celle-ci pouvant en l’espace de quelques instants, quelques mois, ou quelques années, passer d’un état d’euphorie ou pôle maniaque, à un état de profonde mélancolie, ou pôle dépressif.

De cette symptomatologie générale, la médecine a tiré un classement en trouble bipolaire de type I, (le plus sévère où l’épisode maniaque englobe hyperactivité, état d’euphorie, troubles du sommeil, sentiment de toute-puissance qui conduisent en général à l’hospitalisation), trouble bipolaire de type II (Survenue d’un ou de plusieurs épisodes dépressifs majeurs et d’au moins un épisode d’hypomanie) ainsi que toute une gamme de troubles d’intensité moins grave et regroupant tous le spectre de la symptomatologie.

Cette maladie qui se déclare en général au début de l’âge adulte trouve sa cause dans plusieurs facteurs: «Il existe une prédisposition génétique, le risque d’être bipolaire est augmenté lorsqu’un membre de la famille est atteint, explique la doctoresse Sylfa Fassassi, médecin associé au Service de Psychiatrie générale du CHUV. D’autres facteurs durant l’enfance ou l’adolescence, comme les traumatismes par exemple, renforcent également la probabilité de développer la maladie. Un épisode est souvent déclenché par des évènements stressants aussi bien négatifs, comme un deuil, une rupture sentimentale que positifs, comme une promotion ou un mariage».

Non soignée, la maladie présente souvent un risque d’évolution très négatif avec un fort impact social: les risques de divorce et de désinsertion socio-professionnels sont accrus de même que les conduites à risque, le tout pouvant même conduire au suicide.

Diagnostic tardif

Bonne nouvelle cependant: les traitements existent et sont tout à fait efficaces (lire encadré ci-dessous): «Lorsqu’on suit son traitement, on peut mener une vie tout à fait normale», observe la doctoresse Fassassi. Sauf qu’avant d’en arriver au traitement, il faut poser le diagnostic. Et c’est là que le bât blesse: bien souvent, celui-ci est posé très tard, trop tard. D’abord parce qu’aucun test ne permet de confirmer ou d’infirmer avec certitude le trouble bipolaire, et parce que souvent, la maladie commence par un épisode dépressif. Et puis enfin, le personnel médical n’est souvent pas suffisamment formé aux spécificités et subtilités de cette pathologie parfois difficile à cerner.

Reste l’épineuse question des proches, souvent démunis et parfois même anéantis devant une maladie qui affectera en profondeur leur vie quotidienne. Et là, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, des groupes de parole permettant des partages d’expérience bénéfiques pour tous les proches. «Vous n’êtes pas tout-puissants, faites-vous aider, implore Anne Bornand. C’est la seule manière de tenir le coup!»

«Vivre avec un bipolaire, une expérience douloureuse», Anne Bornand, éditions Mon Village.

Un traitement indispensable

Dans la prise en charge des troubles bipolaires, en particulier ceux de type I, les traitements pharmacologiques sont indispensables, en particulier la prise en charge d’un épisode maniaque, souvent source d’une intense souffrance pour le malade. En dehors des épisodes, on prescrit le plus souvent des stabilisateurs de l’humeur, à base en général de lithium, très efficace. Outre les médicaments, à prendre sur le long terme, une hygiène de vie du malade est indispensable, fondée sur un rythme régulier, un sommeil suffisant et un régime alimentaire sans stimulants. Dernier aspect: la psycho-éducation du patient qui doit connaître sa maladie et apprendre à en identifier les signes avant-coureurs.

Un groupe pour les proches

Afin de soutenir les proches de personnes souffrant de troubles bipolaires, le département de psychiatrie du CHUV a mis en place un groupe qui leur est spécifiquement destiné. Parents, conjoints, enfants, et amis sont concernés. L’objectif est de leur permettre d’exprimer leur vécu et de décrire les stratégies qu’ils ont développées pour faire face aux difficultés rencontrées. Des notions théoriques et des conseils pratiques sur la maladie y sont également présentés.

Rens. 021 314 00 50. Mail: pgh1.groupe-proches-bipolaires@chuv.ch