Des soignants applaudis, mais épuisés et révoltés aujourd’hui

En partie épuisé et en colère, le personnel de santé manifeste ce mercredi à Lausanne pour une hausse des effectifs et des salaires. Un préavis de grève a été déposé
Alors que la deuxième vague de coronaviurs s’apprête à déployer ses effets, certains soignants affirment que cette fois ils refuseront l’appel à renforcer les soins intensifs!
La conseillère d’Etat Rebecca Ruiz souligne que 150 soignants sont en train d’être engagés en renfort au CHUV mais que plus d’efforts financiers sont impossibles.

  • Partout en Europe, comme ici à Strasbourg, le personnel soignant réclame de meilleures conditions de travail. DR

    Partout en Europe, comme ici à Strasbourg, le personnel soignant réclame de meilleures conditions de travail. DR

«L’argent qui est débloqué pour bien d’autres secteurs, doit l’être pour celui, si crucial et de service public, de la santé»»

Vanessa Monney, syndicaliste SSP-VAUD

«Les citoyens doivent le savoir: leurs applaudissements de soutien chaque soir au balcon au plus fort de la crise n’ont été suivi d’aucun effet! Le personnel soignant est épuisé et en colère. Beaucoup de ceux qui ont sacrifié leur vie de famille voire leur santé physique et psychique, en acceptant d’être réquisitionnés aux soins intensifs, disent qu’ils refuseront l’appel qui ne manquera pas de revenir avec cette seconde vague…», assène David Gygax.

Le syndicaliste du SSP-Vaud et certains des 33’000 salariés du secteur vaudois de la santé manifesteront ce mercredi à 18h entre le CHUV et St-François. Beaucoup sont plus déterminés que jamais à obtenir des embauches de personnel qualifié et des augmentations de salaire. Une pétition en ce sens circule au sein de la population. Elle a déjà recueilli plus de 2’100 paraphes. En plus de ces deux vieilles revendications, les syndicats demandent aussi une «prime Covid» de 2’500 francs pour tous.

Des revendications très ambitieuses

Ces revendications ne sont-elles pas trop ambitieuses à l’heure où l’Etat de Vaud annonce un budget déficitaire de 163 millions pour 2021 des suites du Covid? Sans compter que certains membres du système de santé se sont aussi retrouvés avec beaucoup moins de travail lors de la première vague… «Nos demandes sont légitimes et tous doivent en profiter car tous souffrent depuis des années au quotidien des pressions budgétaires et d’un sous-effectif chronique préjudiciable à leur santé et à celle de leurs patients», répond David Gygax.

Pour sa collègue Vanessa Monney, «l’argent qui est débloqué pour bien d’autres secteurs, doit l’être pour celui, si crucial et de service public, de la santé». La secrétaire syndicale du SSP-Vaud estime qu’il s’agit d’un choix politique plus que budgétaire. Dans le parapublic, la grille salariale a déjà été revalorisée en début d’année. Le salaire minimum mensuel était passé de 3’700 à 4’200 francs. Est-il réaliste d’obtenir déjà plus? David Gygax et sa collègue en sont convaincus. «D’autant qu’on partait de très bas et qu’une lutte de dix ans avait été nécessaire pour obtenir cette avancée», explique le premier.

Les HUG en exemple

Lequel rappelle aussi qu’à Genève, les HUG ont annoncé cet été 350 embauches. «Même si une part d’entre elles ne sont en définitive que de simples régularisations, c’est la preuve qu’il est possible d’aller dans le bon sens. Mais pour cela, encore faut-il que des négociations soient ouvertes ce qui n’est toujours pas le cas sur Vaud malgré des premières demandes formulée dès mars!» On l’a compris: la décision prise par le Conseil d’Etat le 8 octobre permettant d’accorder en guise de «reconnaissance» jusqu’à deux jours de congé au personnel de santé particulièrement engagé dans la lutte contre le Covid n’a pas convaincu. Dans la situation à flux tendu actuelle, les concernés estiment qu’ils ne pourront de toute façon pas les prendre avant plusieurs mois.

Pour obtenir satisfaction, les syndicats brandissent la menace d’une grève dans le parabublic. Un préavis en ce sens a d’ores et déjà été déposé pour le 1er décembre. Le CHUV ne sait pas encore s’il se joindra à cette hypothétique grève. Décision sera prise le 10 novembre. «Ce serait notre dernier recours pour ouvrir des négociations. Nous assurerions alors un service minimum légal prétéritant le moins possible les patients», rappelle David Gygax. Le fonctionnement normal et les opérations non urgentes notamment seraient en revanche très perturbées. Pas certain alors que les applaudissements retentiraient encore aux balcons le soir venu...

«Peu de cantons font autant!»

Rebecca Ruiz, en tant que conseillère d’Etat chargée de la santé, quelle est votre position face aux revendications?

Le personnel de santé continuera d’être fortement sollicité. Je le remercie du fond du cœur pour cet engagement. Seul le personnel du CHUV est employé par l’Etat. Il a été soutenu au plus fort de la crise par la mise en place d’une garderie, d’indemnisations vacances annulées, d’un fond de soutien ou par la mise à disposition de logements de proximité. Dans le parapublic, nous accompagnons les discussions de revalorisation salariale tout en investissant 16 millions par an pour les rendre possibles. Peu de cantons font autant!

Pourquoi pas une prime Covid de 2’500 francs pour tous?

Débourser un tel montant est impossible vu le contexte et les moyens qui doivent être engagés pour les secteurs économiques touchés dans notre canton. Rappelons que nos 11’000 employés du CHUV ont des salaires assurés. C’est pourquoi nous avons décidé d’accorder jusqu’à deux jours de congé. Nous sommes par ailleurs en train d’engager 150 aide-soignants et infirmières pour la seconde vague. Certains de ces postes seront pérennisés.

Certains soignants en sont au point d’envisager de ne pas répondre à l’appel de la seconde vague…

Je suis certaine qu’ils répondront présents si la situation s’aggrave. La population est heureuse de pouvoir compter sur leur professionnalisme.

De la parole aux actes! L'éditorial de Philippe Kottelat

Au printemps dernier, on les a encensés. Tous les soirs - ou presque -, dans un réel élan de solidarité. De nombreux habitants confinés ouvraient leurs fenêtres pour applaudir les personnels soignants qui luttaient contre l’épidémie de coronavirus. Ils, et elles, enchaînaient alors les heures supplémentaires et travaillaient d’arrache-pied, de jour comme de nuit, pour soigner, calmer, écouter, épauler, sauver et le plus souvent, guérir les malades.

En temps normal, ces professionnels du secteur parapublic ne comptent déjà pas leurs heures. Ils travaillent souvent selon des horaires variables, les soins étant prodigués toute l’année, puisque les maladies ne connaissent ni les week-ends, ni les jours fériés, ni la différence entre le jour et la nuit. Le Covid-19 les a simplement mis un peu plus encore sur la sellette. Ils ont travaillé dans des conditions particulièrement pénibles et dangereuses en raison du manque de matériel de protection durant les premières semaines, des changements incessants de plannings et bien sûr de la charge de travail supplémentaire générée par les mesures anti-Covid.

Dans la foulées des «mercis» lancés sur les balcons par la population, les pouvoirs publics ont réagi, promettant de les remercier. Dans le canton de Vaud, ils demandaient une prime de 2500 francs. On leur offre 2 jours de congé supplémentaires. On est bien loin du compte! A l’heure où le pays s’apprête à passer de nouvelles heures sombres, ils ont donc décidé de se mobiliser ce mercredi 28 octobre (lire article ci-contre) et de faire signer une pétition de soutien au personnel de la santé. Pour rappeler à la classe politique que la reconnaissance a un prix et qu’en ce qui les concerne, l’heure est enfin venue de passer de la parole aux actes!