Faut-il accueillir le soldat Snowden en Suisse?

Réfugié en Russie depuis 2013, le lanceur d’alerte Edward Snowden est en sursis.

Une pétition du Parti pirate suisse demande que la Confédération lui accorde l’asile.

Surprise: nombre de candidats vaudois aux chambres fédérales voient la démarche d’un bon œil.

  • Edward Snowden, recherché par son pays, et en quête désespérée d’asile. En médaillon, son livre qui vient de paraître. DR

    Edward Snowden, recherché par son pays, et en quête désespérée d’asile. En médaillon, son livre qui vient de paraître. DR

«Quel autre état que la Russie serait capable d’accueillir Snowden?»

Stéphane Koch, spécialiste en stratégie numérique

Commençons par résumer la situation, pour le moins paradoxale. Car nous voici avec un lanceur d’alerte, Edward Snowden un homme qui sait de quoi il parle. Et pour cause: cet informaticien américain, un grand geek à ses débuts, a massivement espionné pour le compte des Etats-Unis, et comme il le révèle dans son ouvrage récemment publié… depuis le territoire suisse, à Genève plus précisément, et ce aux mépris des lois internationales mais aussi celles de son propre pays, comme l’a d’ailleurs estimé une cour de justice américaine.

Le paradoxe, c’est que cet homme qui, par ses révélations a défendu une certaine éthique des libertés fondamentales si chères à nos démocraties, trouve aujourd’hui refuge, non pas dans nos pays, mais bel et bien dans la très autocratique Russie, qui lui a accordé l’asile et un permis de séjour annuel. Une situation précaire et inacceptable qui fait qu’un peu partout éclosent des pétitions pour qu’un asile soit accordé à Edward Snowden dans nos pays. Sans surprise, chez nous, c’est le parti pirate suisse qui s’y est collé, lançant sur le net un texte (www.change.org/p/asile-pour-edward-snowden) demandant que la Suisse accorde l’asile au réfugié américain. A noter qu’en 2013 déjà, le POP avait publiquement saisi le Conseil fédéral dans le même dessein.

3000 personnes signataires

A l’heure actuelle, le texte du Parti pirate, qui est d’ores et déjà signé par près de 3000 personnes, vient de recevoir, après un long débat, l’appui du parti pirate vaudois. «Nous soutenons une pétition qui s’inscrit dans la tradition humanitaire de la Suisse et en faveur de toute personne qui risque de subir des mesures de rétorsion dans son pays, explique son co-président Loïc Arm. D’une manière générale, l’asile doit être accordé à tout lanceur d’alerte, qu’il faut bien évidemment différencier des maîtres-chanteurs dont le seul objectif est financier».

Pour humanitaire qu’elle soit, la démarche du parti pirate ne peut être que symbolique. Et pour plusieurs raisons. D’abord, en se livrant à des activités d’espionnage sur notre territoire, fut-ce pour le compte d’un état étranger, Edward Snowden pourrait être sous le coup d’une enquête pénale suisse. Mais il y a encore plus rédhibitoire. «Evidemment que sur le principe, nous devrions pouvoir accueillir Snowden, qui avec courage s’est désolidarisé avec son pays pour défendre des principes démocratiques fondamentaux, constate Stéphane Koch, spécialiste en stratégie numérique, réseaux et médias sociaux. Sauf que la bonne question n’est pas celle-là, mais plutôt: quel état autre que la Russie serait aujourd’hui capable de l’accueillir?»

En clair, quel autre état serait capable aujourd’hui de résister à d’éventuelles mesures de pression et de rétorsion américaines? Certainement pas la Suisse, dont le poids démographique, militaire et économique est insignifiant face au mastodonte US. Reste que la démarche demeure intéressante sur le plan des principes et des valeurs. Du coup, nous avons demandé à une quarantaine de candidats vaudois aux élections fédérales s’ils accepteraient de signer une telle pétition, voire même de la relayer aux chambres fédérales s’ils étaient élus à la prochaine législature.

Quinze réponses

Une quinzaine a accepté de nous répondre, Roger Nordmann et Jacqueline de Quattro ayant préféré nous informer qu’ils ne se prononceraient pas sur la question. Pour le reste, Adèle Thorens, Daniel Brélaz, Olivier Feller, Anaïs Timofte, Isabelle Chevalley, Hadrien Buclin, Samuel Bendahan, Pierre Conscience, Alberto Mocchi... tous ceux-là se sont dit prêts sur le principe, à signer la pétition, au nom de la défense des valeurs démocratiques.

La plupart d’entre eux vont encore plus loin en appelant la Suisse à se doter d’une législation destinée à protéger les lanceurs d’alerte. «C’est un enjeu qui prend de plus en plus d’importance et les parlementaires peuvent modifier les bases légales pour assurer une meilleure protection des lanceurs d’alerte» commente ainsi Adèle Thorens. «Je m’engagerais pour créer un environnement légal dans lequel les personnes qui ont le courage de dénoncer des pratiques scandaleuses pour des motifs altruistes soientprotégées», renchérit Samuel Bendahan, tandis que les candidats à l’extrême gauche de l’échiquier politique aimeraient même aller plus loin: «Il y a un vrai problème démocratique vis-à-vis de la place centrale des institutions financières et multinationales dans notre pays, déplore ainsi Pierre Conscience. Leurs employés ne sont pas protégés s’ils entendent alerter sur une information qui serait en leur possession!»

«Les whistleblowers doivent bénéficier de réelles protections vis-à-vis de leur employeur, contrairement à ce que prévoit le droit du travail actuel, ajoute Anaïs Timofte. En l’absence de mesures efficaces, d’importantes révélations d’intérêt public ne peuvent être véhiculées.»

Charaf Abdessemed

Snowden et nous, l'éditorial de Charaf Abdessemed

C’est un pas de géant pour l‘homme, mais un grand pas en arrière pour l’humanité. En dévoilant au monde l’ampleur de l’espionnage auquel se livrait son pays après y avoir lui-même participé comme exécutant, Edward Snowden a pris le risque de tout perdre. Son pays, son travail, sa famille, sa réputation et même sa liberté. Accueilli depuis 2013 par la Russie de Poutine, trop contente de faire un pied de nez à son arrogant rival américain, l’informaticien américain sait qu’il est en sursis et qu’il est impératif pour lui de se trouver un nouveau point de chute. Car dès qu’il ne sera plus utile au maître du Kremlin, il sera sacrifié sans la moindre hésitation, tout comme le petit Equateur a fini par se débarrasser de l’encombrant et ingérable Assange.

Incontestablement, le cas Snowden interroge. Car, nous vieilles démocraties de la vieille Europe, toujours promptes à brandir nos valeurs de liberté comme un étendard, quand nous n’en faisons pas un outil de notre promotion diplomatique internationale asséné à tous ces états à qui nous faisons volontiers la leçon, sommes aux abonnés absents. Au nom de la Réalpolitik et pour ne pas subir les foudres de l’allié américain, nous foulons aux pieds ces valeurs qui auraient inconditionnellement dû nous pousser à accueillir le lanceur d’alerte, notre silence coupable alimentant un peu plus ce que Jean Ziegler appelle «la haine de l’Occident», si souvent soupçonné de double discours.

L’affaire Snowden est là pour nous rappeler que chaque petit pas en arrière que nous concédons sur nos valeurs est une prime supplémentaire accordée au désordre international, et que nous paierons tôt ou tard à un prix bien plus élevé que ce que nous aurait coûté une démarche courageuse aujourd’hui.