Gestion des SIL par la Muni: une fausse bonne idée?

Dans un rapport d’audit, le Contrôle des finances de la Ville pointe du doigt certains dysfonctionnements des SIL, dont beaucoup sont en rapport avec leur gestion directe par la Municipalité. Cette dernière défend un indispensable outil de gestion de sa politique climatique, à l’heure ou Xavier Company reprend le flambeau de Jean-Yves Pidoux.

  • Le siège historique des SIL, à Chauderon. En médaillon le municipal Jean-Yves Pidoux. CA

    Le siège historique des SIL, à Chauderon. En médaillon le municipal Jean-Yves Pidoux. CA

« Je laisse à mon successeur un outil en ordre de marche»

Jean-Yves Pidoux municipal sortant en charge des SIL

Il n’est pas téléchargeable directement sur le site internet de la Municipalité. Mais en vertu de la loi du 24 septembre 2002 sur l’information, tout citoyen résident sur le territoire communal lausannois peut en faire la demande et l’obtenir sans difficulté. Lausanne-Cités a ainsi pu prendre connaissance du rapport d’audit interne «Gouvernance des Services industriels lausannois» - pourtant estampillé «Confidentiel» - établi par le Contrôle des finances de la Ville de Lausanne au cours du deuxième semestre 2019 et remis aux autorités en 2020. Ordinaire dans le cadre d’un fonctionnement démocratique normal, cet audit a abouti à l’édiction d’une douzaine de recommandations à l’intention de la Municipalité, pointant un certain nombre de dysfonctionnements à améliorer. «C’est le propre du mandat du Contrôle des finances d’être critique dans ses rapports et de mettre en évidence les points sensibles, explique Jean-Yves Pidoux, Municipal-directeur des SIL. D’ailleurs sur les 12 recommandations qu’il a émises, la Municipalité en a accepté 10 qui vont dans le bon sens en termes de gestion opérationnelle».

Seulement voilà, une lecture attentive du rapport montre qu’une bonne part des points relevés par les auditeurs (lire l’encadré) est consubstantiellement liée au fait que la Municipalité gère directement les Services industriels de Lausanne, une quasi-exception en Suisse. D’ailleurs, la douzième recommandation du rapport évoque clairement la nécessité d’une… évolution de la forme juridique des SIL.

Adaptés aux enjeux?

La gestion directe des SIL par un Municipal est-elle adaptée aux enjeux d’une entreprise économique majeure, qui plus est bientôt confrontée aux aléas d’une libéralisation annoncée? Sans aucun doute estime, Jean-Yves Pidoux: «Le fait que la Ville soit directement aux commandes des SIL n’est pas quelque chose d’anecdotique, c’est une garantie de cohérence: il est crucial qu’une ville qui est un acteur important dans le domaine énergétique, puisse avoir une prise directe sur les actifs en termes de réseaux, de participation à des sociétés qui fournissent les Lausannois en énergie. Et il se trouve que l’énergie est un point crucial pour une politique climatique responsable».

L’ancien syndic Daniel Brélaz qui fut lui-même en charge des SIL, balaye également les critiques: «Historiquement, toutes les villes suisses géraient directement leurs services industriels: c’est dans les années 90, dans la foulée du soi-disant new public management, que la plupart des villes ont modifié leur gouvernance estimant qu’il ne devait plus à l’autorité publique que de donner des consignes», lance-t-il avant d’ajouter avec le franc parler qui le caractérise: «Les auteurs de ce rapport d’audit ont baigné dans Saint-Gall (université d’inspiration néolibérale, ndlr) et l’esprit du new public management. Le schéma de gestion actuel est le bon selon moi: l’aspect purement technique relève des chefs de service, l’aspect contraintes budgétaires et politiques du Municipal. Avoir une interaction entre les deux avec à la tête un politique intelligent qui ne soit ni un pot de fleur ni un dictateur est un plus. Retirer la tutelle politique des SIL porte le risque d’en déléguer la gestion aux chefs de service qui sont de bons techniciens mais avec un risque de pensée unique».

La droite tire à boulets rouges

La droite évidemment n’est pas de cet avis, et se délecte des conclusions du rapport de gouvernance. «Cette confusion sert les intérêts politiques et budgétaires de la municipalité mais pas les intérêts des Lausannois, s’insurge l’UDC Fabrice Moscheni cosignataire avec des élus PLR, PLC et Verts libéraux d’une interpellation urgente au conseil communal.

«La mission de directeur des SIL est passionnante mais pas très visible au sens politique. Tout simplement parce que les SIL fonctionnent bien: pas de pannes, pas de mobbing, pas de scandale. Je ne sais pas s’il faut être reconnaissant à la droite de contribuer à la célébrité du municipal-directeur des SIL», tacle, narquois, Jean-Yves Pidoux qui ajoute: «Je laisse à mon successeur un outil en ordre de marche et préparé pour la libéralisation, si celle-ci devait survenir».

Risques dans la gestion entrepreneuriale

A plusieurs reprises, le rapport sur la gouvernance des SIL pointe du doigt les risques liés à la gestion directe de l’entreprise par un municipal. Ainsi l’arrivée d’un nouveau directeur, en clair un municipal fraichement élu, «nécessite un temps d’adaptation qui peut avoir un impact sur les décisions des SIL et ralentir l’avancée de projets stratégiques» peut-on ainsi y lire en page 8. «Le processus d’élaboration du plan de l’investissement imposé aux SIL n’est pas adapté à une activité commerciale qui nécessite de pouvoir être réactive pour pouvoir lancer un produit par exemple ». Sans compter les difficultés de gestion du personnel, ardu à à recruter ou licencier «car soumis au règlement de la politique du personnel de la Ville». On peut y ajouter enfin la porosité entre les Services industriels et… le conseil communal, qui « se retrouve à prendre des décisions commerciales alors que ce n’est pas son rôle » et ce d’autant que «Les préavis (liés aux SIL) étant soumis au Conseil communal, la confidentialité n’est plus assurée».

"Lausanne la Rouge", l'éditorial de Charaf Abdessemed

C’est clairement une exception suisse. Lausanne est quasiment la seule ville du pays à gérer directement ses services industriels, pourvoyeurs d’énergie pour ses habitants. Une gestion directe et rapprochée, puisque c’est un Municipal qui en assure la responsabilité opérationnelle aussi bien que politique.

Mais être seule contre tous ou plutôt parmi tous, ne veut pas forcément dire avoir tort. Pour la Municipalité, cette gestion directe des SIL est le fer de lance d’une politique énergétique régalienne et climatique ambitieuse, et l’ancien syndic Daniel Brélaz n’a pas tort lorsqu’il estime que nombre de v illes ou cantons suisses ont abandonné une part de leur marge de manœuvre à la faveur de la vague néo-libérale des années 90 (lire ci-contre).

Sauf que l’argument est un peu court tant il est difficile d’imagigner l’ensemble des cantons et municipalités suisses, dont une bonne part est à majorité de gauche, revêtant l’habit d’ affreux néo-libéraux plus soucieux d’idéologie que de pragmatisme gestionnaire et écologique.

Pour la droite lausannoise l’affaire est en revanche entendue: si la Municipalité s’entête dans un mode de gestion «archaïque et passéiste» c’est, qu’à ses yeux, les SIL représenteraient une sorte de caisse noire pourvoyeuse de subterfuges budgétaires qui feraient ses affaires. Fantasmé ou pas, le poison de ce soupçon impose à l’exécutif communal un exercice de transparence financière aussi exigeant que total.

Evidemment, seul le temps et l’épreuve des faits révèleront si le choix de Lausanne la Rouge aura été payant et judicieux. La Ville, dans ce dossier, a sans aucun doute fait un choix contracyclique qui représente un pari - risqué ou audacieux c’est selon -, et qui l’oblige autant qu’il l’engage vis à vis des Lausannois.