Grève du sexe: Ce que les hommes en pensent

  • Les mouvements féministes envisagent une nouvelle grève des femmes en juin 2019. Une «grève de l’amour» pourrait même être prévue.
  • Objectif: faire avancer l’égalité salariale et lutter contre les violences faites aux femmes.
  • Nous avons demandé à une vingtaine d’hommes lausannois, politiciens et autres, ce qu’ils en pensaient.

  • Un extrait de la pièce de théâtre «La Grève du sexe» de Joachim Desmoines . DR

    Un extrait de la pièce de théâtre «La Grève du sexe» de Joachim Desmoines . DR

«Se figurer que les hommes ne peuvent être influencés que lorsqu’on joue sur leurs pulsions physiques, c’est les tenir en piètre estime»

Valentin Christe, parti libéral-conservateur

Vont-elles remettre ça? 27 ans après la première édition en 1991, des femmes suisses envisagent au mois de juin 2019, une nouvelle action d’envergure pour mieux revendiquer leur droits. Imaginée par l’Union syndicale Suisse, cette «grève» pourrait reproduire les mêmes actions: port de vêtements et de badges fuchsia ou violets, féminisation des noms de rue, débrayages, grève du zèle dans les foyers, manifestations, cortèges, piques-niques… Parmi les mesures envisagées, l’une risque de ne pas passer inaperçue: la «grève de l’amour», en référence à la comédie grecque d’Aristophane, dans laquelle Lysistrata organise une grève de l’amour pour faire cesser une guerre absurde.

Nous avons demandé à une vingtaine d’hommes lausannois, pour l’essentiel des hommes politiques, ce qu’ils pensaient de cette démarche. Et à cette question, il s’avère sans conteste que les réponses reflètent allègrement le clivage droite-gauche. A gauche, l’affaire est prise très au sérieux. «Les femmes ont le droit de faire ce qu’elles veulent de leur corps et ce n’est pas à un homme de les juger sur cette question» tranche ainsi le Vert Valéry Beaud, président du conseil communal lausannois.

Solliciter l’attention

«Cette proposition est intéressante et a un certain arrière-fond culturel et historique ajoute le municipal Jean-Yves Pidoux, toujours didactique. Cette proposition permet de relever, une fois de plus, que la vie des gens – et tout particulièrement celle des femmes – est un mélange astreignant d’exigences liées à leur vie privée et à leur vie professionnelle. Invoquer la première pour parler de la seconde est une manière originale de solliciter l’attention». Quant au conseiller national socialiste Roger Nordmann, il estime, à la lumière de la référence historique antique, que «l’idée était manifestement déjà efficace à l’époque»… Avec une jolie pirouette et un humour plutôt rare à gauche sur un tel sujet, le Municipal Oscar Tosato soutient également la démarche, prédisant non sans finesse que «la grève de l’amour va accélérer le partage des tâches familiales».

Une ironie que l’on retrouve à droite, mais cette fois pour dénoncer le projet: «Si une telle mesure peut dans certaines circonstances avoir eu quelque effet, on doit malheureusement constater que la guerre n’a pas cessé sur notre planète», a ainsi déclaré, pince-sans-rire, et à l’exact opposé de Roger Nordmann, son collègue du conseil national, Olivier Feller qu’une telle grève, fût-elle inspirée par Aristophane, ne semble pas séduire.

Au delà de l’ironie, nos interlocuteurs n’ont eu de cesse de souligner le côté paradoxal, pour des féministes, d’appeler à une grève du sexe. «Se figurer que les hommes ne peuvent être influencés que lorsqu’on joue sur leurs pulsions physiques, c’est les tenir en bien piètre estime. Curieux pour celles qui se réclament sans cesse de l’égalité», lâche ainsi le conseiller communal Valentin Christe du parti libéral-conservateur et ancien de l’UDC. Même son de cloche de la part de Gilles Meystre ex-conseiller communal radical et aujourd’hui président de GastroVaud: «Faire la “grève de l’amour”, c’est cultiver la dichotomie homme/femme qui alimente hélas la guerre des sexes. Pire, c’est maintenir la femme dans une représentation sexuée du monde. En clair, c’est un regrettable autogoal pour la cause des femmes!»

Un autogoal qui est également relevé par les deux seuls non politiques que nous avons sollicités et par ailleurs collaborateurs de Lausanne Cités: «L’amour n’est pas une monnaie d’échange! s’insurge ainsi notre chroniqueur Thomas Lecuyer. C’est un peu paradoxal de monnayer des revendications égalitaires avec son corps, alors même qu’on défend, à juste titre d’ailleurs, son intégrité absolue morale et physique.»

«Appeler à une grève de l’amour me semble suranné, ajoute enfin Jonas Schneiter, animateur à la RTS. C’est contribuer à ancrer le cliché qui voudrait que la femme “s’offre” à un homme, que celle-ci est donc au service du plaisir de l’homme. S’il y a grève de l’amour, ce serait vouloir punir l’homme en le privant. C’est une vision profondément inégalitaire. Ou alors, considérons une grève de l’amour comme une grève de la faim, l’acte masochiste de femmes désespérées.»