Haine sur les réseaux sociaux: la Suisse est-elle laxiste?

Très tardif, le bannissement de Trump de Twitter et Facebook laisse un arrière-goût amer.
Nombre de personnalités vaudoises dénoncent le pouvoir exorbitant des réseaux sociaux.
Problème: la Suisse tarde à légiférer pour offrir un véritable dispositif juridique d’encadrement des plateformes.

«On ne peut pas rendre les réseaux sociaux responsables de tout. Les Etats doivent légiférer»

Stéphane Koch, expert

Pour beaucoup, la nouvelle a été synonyme de soulagement. Mais aussi de sérieux grincements de dents. Twitter, Facebook et la plupart des réseaux sociaux ont décidé de couper le sifflet à Donald Trump, le privant de l’incroyable caisse de résonnance qui lui permettait de diffuser à tous vents, insanités, mensonges et appels à l’insurrection. Voici donc le président de la première puissance mondiale privé de son outil de communication préféré par la simple décision d’une entreprise de réseaux sociaux.

«Donald Trump a utilisé de manière excessive et inadmissible son compte Twitter pendant son mandat sans que les manitous des réseaux sociaux ne réagissent. Ce n’est qu’au moment où il est devenu certain qu’il ne serait plus président des Etats-Unis et qu’il tient un discours invitant ses partisans à marcher sur le Capitole qu’enfin, les réseaux sociaux cessent de se voiler la face», dénonce ainsi le conseiller national PLR Olivier Feller. «Tout cela peut être clairement le début d’une pente dangereuse, renchérit sa collègue Isabelle Moret. Je condamne le contenu de beaucoup de tweets de Donald Trump, mais il a été élu démocratiquement par les citoyens américains, alors que Twitter décide seul de limiter sa liberté d’expression».

«Hypocrisie»

A gauche également, la démarche suscite une réelle préoccupation. «Il est juste que le compte de Donald Trump ait été suspendu, même s’il relève de l’hypocrisie que cette suspension arrive aussi tard, observe le conseiller national socialiste Samuel Bendahan. En revanche, il est extrêmement dangereux que ces décisions échappent au contrôle démocratique et ouvrent la voie à un contrôle encore plus grand de notre démocratie par les grandes fortunes et mégacorporations».

De fait, la fermeture des comptes du président américain par les réseaux sociaux, outre qu’elle s’attaquait à un désormais «looser», pose à moyen terme plus de problèmes qu’elle n’en résout. Car «l’hypocrisie» des réseaux sociaux a pour pendant évident celle… des politiques: «On ne peut pas dire que les plateformes doivent réguler et se plaindre quand elles finissent par le faire» dénonce ainsi Stéphane Koch, expert en réseaux sociaux. «La décision de Twitter fait suite à un ensemble de mises en garde qui ont été adressées à Trump après le 6 janvier. Et il est quand même rassurant de voir que comme tout le monde, même un président peut être soumis à un règlement».

Sauf que Trump a longtemps bénéficié d’une indulgence rare, avec des contenus qui contrevenaient clairement aux règlements des réseaux sociaux. Il aura donc fallu attendre son déclin et son départ imminent pour que ceux-ci se rappellent de leur existence et sévissent enfin. «On ne peut pas rendre les réseaux sociaux responsables de tout, ajoute Stéphane Koch. Il faut que les Etats se dotent de législations nationales qui leur donnent une base légale pour les encadrer, et qui permettent aussi de punir les personnes qui propagent les appels à la haine. Le problème c’est que la Suisse est très en retard, voire laxiste sur ces questions». Comment donc expliquer l’attentisme de notre pays en ce domaine, la Suisse n’ayant, par exemple, toujours pas légiféré spécifiquement sur la problématique du cyber harcèlement?

«Un cadre plus contraignant serait nécessaire admet Olivier Feller. Mais la limite est difficile à fixer parce que les réseaux sociaux se moquent des frontières et parce que la liberté d’expression doit être préservée dans un pays démocratique, sous réserve des infractions pénales».

Une solution internationale

«Il convient plutôt de chercher une solution internationale, préconise Isabelle Moret. Un cadre juridique suisse aurait peu d’impact, à moins qu’il ne s’inscrive dans un véritable mouvement européen voire international».

Que faire alors?: s’en remettre à l’Europe, dont le RGPD (Règlement général sur la protection des données) a ainsi providentiellement pu protéger les Suisses du partage de données entre What’sapp et Facebook, récemment voulu par la firme de Mark Zuckerberg? «L’inertie suisse est incompréhensible, observe Samuel Bendahan. La majorité du parlement aujourd’hui défend prioritairement les intérêts des milliardaires et des grandes entreprises qui ont fortement intérêt à ne pas être limitées, pour accroitre davantage leur richesse et leur contrôle sur la société».