Vous êtes soulagé, à l’heure de quitter vos fonctions?
Oui, soulagé et heureux du travail accompli. C’est particulièrement vrai ces derniers mois où nous constatons une accélération de la baisse du recours à l’aide sociale. Entre janvier et décembre 2018, on a ainsi dénombré 700 dossiers en moins! Cela montre que nos objectifs se concrétisent. Avec les PC familles et la Rente-Pont, on souhaitait aider les gens en activité, afin de leur éviter de recourir à l’aide sociale. C’est un pari réussi, conformément à nos espérances, d’autant plus que le dispositif retenu aide presque 3 à 4 fois plus de gens au travail, pour un coût à peu près équivalent pour l’Etat et les communes.
En dehors de l’aide sociale, quelle réalisation vous satisfait le plus?
Dans le domaine de la santé, nos coûts à charge de la LAMal ont connu ces vingt dernières années une croissance d’un peu moins de 3% par an, alors que la croissance annuelle en moyenne suisse a été de 4%. On a donc durablement mieux maîtrisé nos coûts, même si les moyens d’action du canton sont limités. Mais surtout, on a pu mettre en place le plafonnement des primes à 10% du revenu.
Tout de même, vous vous êtes plantés sur la caisse unique…
C’est vrai, on n’a pas réussi à trouver un texte qui puisse à la fois mobiliser les forces militantes pour sa récolte, tout en ayant des chances d’être voté par le peuple.
En votation, les Suisses refusent toute réforme du système actuel… Cela veut-il dire qu’ils en sont satisfaits?
Aujourd’hui, les primes sont déjà insupportables pour environ un tiers de la population. Dans 5 ans, elles le seront pour 50%. Pas besoin d’être devin pour comprendre que l’opinion publique va basculer. Sauf si le Conseil fédéral fait le choix de continuer à agir sur Tarmed pour plafonner les coûts comme il s’est enfin décidé à le faire.
Après plusieurs législatures, quel est selon vous votre plus grand échec en tant que conseiller d’Etat?
Oh, il y en a eu plusieurs. Mais franchement, quand je suis arrivé en 2004 avec les déficits que connaissait le canton et une double majorité de droite, j’étais bien conscient que je prenais un grand pari. Je n’aurais jamais pensé faire 15 ans et conduire avec tout le Conseil d’Etat tant de réalisations. Mais s’il faut citer un échec, cela a tout de même été le projet sur les soins dentaires... Nous avions un excellent projet, mais les blocages idéologiques de tous bords et les lobbies l’ont coulé.
On a beaucoup glosé sur le compromis dynamique et l’axe Broulis-Maillard. Avez-vous eu le sentiment d’avoir parfois trahi vos électeurs?
Non, jamais, j’ai toujours agi au service de mes idéaux. Le projet RIE III a résulté d’un compromis très large, il y avait donc un espace pour se profiler en se positionnant contre, c’est ce qu’a fait l’extrême gauche, on peut le comprendre. Mais ils se sont trompés, en voulant faire croire que les mesures sociales obtenues étaient selon leurs propres termes des «cacahuètes», alors que les milieux populaires voient bien qu’elles sont importantes. Quant à mon propre parti, je rappelle qu’après un débat contradictoire, tous les choix y ont été votés par la base à 80%, ce dont je suis très fier…
L’axe Broulis-Maillard au sein du Conseil d’Etat était donc une vue de l’esprit?
Sur la RIE III on a beaucoup œuvré de concert, c’est vrai. Mais il est faux de croire que la RIE III en particulier, ou l’action du Conseil d’Etat en général puisse être le fait d’un seul ou de deux hommes! Et les exemples sont légion: pour la péréquation par exemple, c’est Jean-Claude Mermoud qui avait joué un rôle décisif. Et on n’a pas assez parlé pour la RIE III, du rôle d’Anne-Catherine Lyon, ou de Nuria Gorrite par exemple. Béatrice Métraux a convaincu les Verts. Ce genre de projet ne marche que si l’ensemble du gouvernement fonctionne en bonne intelligence.
En 15 années, l’exercice du pouvoir vous a-t-il changé?
Je ne mesurais pas l’incroyable nombre de décisions que l’on a à prendre. C’est un volume hors de pro-portion, parfois jusqu’à plusieurs dizaines par jour! Ce n’est pas naturel et il arrive que l’on n’ait pas envie de décider, tant les enjeux sont multiples et importants. Or si on ne le fait pas, on est sûr de susciter du mécontentement, car c’est notre rôle de trancher! Heureusement, avec le temps, on apprend à aller au but plus vite et à faire preuve d’une expertise de lecture et de compréhension des difficultés plus rapide. Sans avoir la même ampleur, mon travail de syndicaliste m’y avait un peu préparé.
Vous ne répondez pas à la question. Le pouvoir vous a-t-il changé?
Ça c’est aux autres de le dire (rires)! Mais c’est vrai, comme tout le monde, on s’endurcit un peu. Quand on vit une affaire horrible comme celle de Dubois (l’assassin de la jeune Marie en mai 2013, ndlr), c’est très dur...
Comment avez-vous fait pour tenir le coup toutes ces années?
En me concentrant sur l’essentiel. J’ai refusé tout ce qui n’était pas strictement indispensable à ma fonction. Par exemple, je n’ai fait qu’un seul voyage en 15 ans. Et puis, on tient le coup parce que l’on a aussi des satisfactions dans cette fonction, par exemple quand on gagne une votation. Sans compter les moments de gentillesse extraordinaire que les gens peuvent nous réserver! Et puis, la récompense, c’est aussi d’avoir été élu 4 fois, de recevoir la confiance de la population.
Quels sont vos objectifs une fois à la tête de l’USS?
J’ai l’ambition un peu folle que dans 10 ans, nous ayons encore le même nombre d’affiliés qu’aujourd’hui, tant l’érosion est régulière. En 30 ans, les effectifs syndicaux ont globalement baissé de 30%, et il faut, à défaut de l’inverser, au moins enrayer cette tendance. C’est d’abord le rôle des fédérations de l’USS mais j’aimerais y contribuer. Pour cela, il faudra avoir un agenda politique qui parlera concrètement aux gens. On ne doit pas se contenter de lancer des initiatives juste pour susciter le débat, mais bien pour les gagner. C’est d’ailleurs comme cela que le mouvement syndical s’est formé, par des avancées concrètes. Enfin, il nous faudra rendre visibles les 40-50% de la population sans formation supérieure, ou avec un travail précaire avec un salaire faible. Car malheureusement, cette partie a disparu du champ de la communication politique!
Avec tout cela, votre vie quotidienne va rester bien remplie…
Tout de même, au début, je vais passer d’un agenda de 6 à 8 séances par jour à 6 à 8 séances par semaine. Je vais donc quand même souffler un peu, lire et écrire plus, et me déplacer en Suisse et à l’étranger puisque l’USS appartient à la Conférence européenne des syndicats.