Jeux olympiques de Pékin: Lausanne opte pour le silence des anneaux

BOYCOTT • Lausanne et le Canton refusent de s’associer au mouvement de boycott des cérémonies des JO de Pékin en février prochain. Pourtant, en raison de la crise sanitaire, il y a de fortes chances qu’aucun officiel lausannois ou vaudois ne s’y rende. La défense des droits de l’homme attendra.

  • La participation aux prochains Jeux olympiques embarrasse la classe politique. VERISSIMO

    La participation aux prochains Jeux olympiques embarrasse la classe politique. VERISSIMO

«La Ville aurait pu être plus cash sur cette question»

Patrick Clastres, professeur associé à l’UNIL

Ira ou n’ira pas? Le 4 février prochain s’ouvriront à Pékin les Jeux olympiques d’hiver 2022. Comme lors de chaque manifestation sportive de grande ampleur organisée dans un pays peu regardant sur les droits de l’homme, la question revient avec acuité. Pour les Verts qui se sont exprimés sur le sujet tant au Grand conseil qu’au Conseil communal de Lausanne, la réponse est évidente: les autorités vaudoises et lausannoises doivent boycotter les cérémonies olympiques à Pékin, en n’y envoyant aucun représentant officiel, histoire de marquer leur soutien «aux victimes de la répression chinoise». Hautement symbolique, l’enjeu est d’importance car si d’ordinaire ce sont les gouvernements nationaux qui sont invités à y participer, la présence de représentants des autorités vaudoises et lausannoises est une exception très notable, liée à la présence du Comité olympique international à Lausanne. C’est d’ailleurs sur invitation de celui-ci et non du gouvernement chinois que la Municipalité et le canton y sont systématiquement conviés. Alors, disons-le d’emblée, histoire de lever tout suspense: qu’il s’agisse de la Ville ou du Canton, le boycott est impensable. «A ce stade et sous réserve de l’évolution de la pandémie, la seule participation de Philippe Leuba, sans accompagnants, est envisagée», explique le chancelier Aurélien Buffat qui précise: «La décision n’est pas encore formellement prise, d’éventuelles restrictions d’accès en Chine ou l’impossibilité de réserver un vol vers Pékin font peser une certaine hypothèque sur cette question».

Boycott impensable

Hors de question non plus pour la Ville de parler de boycott. «La Municipalité a informé le CIO qu’elle ne se rendra pas aux JO de Pékin en raison de la situation sanitaire, clarifie Emilie Moeschler, municipale en charge des sports. Mais il ne s’agit pas d’un boycott et nous participerons aux rencontres virtuelles organisées par le CIO lors desquelles nous sommes attendus pour présenter le bilan des JOJ Lausanne 2020».

Reste une question: ne pas boycotter officiellement tout en n’envoyant aucun représentant ne revient-il pas à tenter une sortie par le haut, en invoquant la pandémie pour éviter de froisser la puissante et désormais ombrageuse Chine? «L’argument de la pandémie pour ne pas se rendre à Pékin est tout à fait valable, réagit Jean-Loup Chappelet, ancien membre du CIO et professeur honoraire au Centre d’études olympique et de la globalisation du sport à l’UNIL. Les conditions sanitaires imposées par la Chine sont très strictes et contraignantes avec des risques importants de quarantaine, au point même que des délégations s’y sont rendues dès le 10 janvier alors que les Jeux ne sont prévus que le 4 février.»

Loin d’éluder la question, la Ville assume pleinement sa position. Questionné à ce propos par l’élue verte Romane Benvenuti, le syndic Grégoire Junod s’est même adonné en plein Conseil communal à une véritable leçon de realpolitik. «Les boycotts dans l’histoire ont surtout servi à affaiblir les populations et parfois plus à aggraver les phénomènes qu’à résoudre les problèmes. Si des Etats se soucient des conditions des droits de l’homme en Chine, il y a sans doute des moyens d’action plus pertinents et plus courageux que de boycotter une simple cérémonie d’ouverture des JO, tout en y envoyant des athlètes, qui reste une manière de se donner bonne conscience à bon marché».

Et de renvoyer Américains et Chinois dos à dos : «La situation des droits de l’homme est sérieuse en Chine. Les Etats, les villes, les gouvernements dans le monde doivent s’en préoccuper, mais si la diplomatie a une vertu, c’est celle de maintenir un dialogue d’abord avec ceux avec qui on n’est pas d’accord. De plus, en matière de respect des droits de l’homme, les Etats Unis ne sont pas non plus un modèle et il faut se garder des leçons de morale».

«Plus cash»

«Il est un peu juste de comparer la situation des droits de l’homme aux USA et en Chine, relève Patrick Clastres, professeur associé à l’institut des sciences du sport de l’UNIL. Cela étant, je comprends la position de la Ville, notamment à cause de la présence du CIO. Néanmoins, la Ville aurait pu être plus cash sur cette question.» Et de conclure: «Le vrai problème, c’est plutôt le CIO qui n’a pas pris parti sur la question des droits humains. S’il l’avait fait, les autorités comme celles de Lausanne, tout comme les athlètes, souvent interpelés sur cette question d’ailleurs, n’auraient pas été mis en difficulté».

Les Verts, quant à eux, prennent acte de la position de la Municipalité: «Contexte sanitaire ou pas, c’est une bonne chose que la Municipalité n’aille pas à Pékin, note le conseiller communal Ilias Panchard. Mais je suis déçu que contrairement à Genève, Lausanne n’utilise pas son statut pour faire bouger les lignes sur les questions de politique internationale».

De nombreux pays boycottent

Etats-Unis, Grande-Bretagne, Australie ou encore Canada, de nombreux pays ont annoncé qu’aucun de leurs représentants ne ferait le déplacement à Pékin, tout en y envoyant leurs athlètes. Plus par volonté de contrer l’influence géopolitique grandissante de la Chine, que par réel souci des droits de l’homme. «Les USA ne peuvent s’attaquer de manière trop frontale à la Chine, explique Patrick Clastres, professeur associé à l’institut des sciences du sport de l’UNIL. En choisissant le boycott, ils usent plutôt leur softpower pour agir sur le terrain des opinions publiques. L’idée est, comme pour les Soviétiques, de jouer la carte de l’implosion de la Chine, prise en étau entre enrichissement économique et contrôle de la société. Enfin, pour les Américains, c’est aussi une manière de compter leurs amis». Quant à la Suisse, son dernier boycott officiel des JO remonte à Melbourne en 1956.