La multiplication des manifs au centre-ville agace les Lausannois

GROGNE • Du bruit, des dégradations et des bouchons pour les habitants. Une activité à l’arrêt pour les commerçants. Les manifestations dans l’hypercentre lausannois exaspèrent une grande partie de la population. La Ville rappelle que toutes les opinions doivent pouvoir s’exprimer.

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«Dès qu’un défilé commence, les clients partent»

Pierre Grundlehner, patron de Bibovino

C’est devenu un rituel. Pratiquement chaque fin de semaine, l’hypercentre lausannois se transforme en caisse de résonnance des revendications militantes. Ces dernières sont tour à tour écologistes, antiracistes ou anti-pass sanitaire. Une multiplication des manifs qui commence à taper sur les nerfs d’Ernest Priarollo, un habitant du centre-ville: «Les manifestants s’immiscent dans les cours intérieures des immeubles et les recoins des rues pour faire leurs besoins en pleine vue, la saleté et la pestilence résiduelles sont insupportables et inadmissibles. À ceux qui opposeraient à cette plainte un droit à la liberté d’expression, je me permets de leur rappeler que leurs droits finissent là où commencent ceux des autres.» Avant d’ajouter, inquiet: «Les commerces qui n’ont pas été mis en faillite par les fermetures liées au Covid sont maintenant achevés par les attroupements pour «défendre» toutes les causes possibles et imaginables.»

Fuite des clients

Un avis amplement partagé par Anne-Lise Noz, propriétaire de la chocolaterie éponyme et vice-présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL): «Quand il y a des manifestations, les clients se font beaucoup plus rares. Ils préfèrent aller à Morges. Après des mois de pandémie, cela fait beaucoup pour les commerçants. Ils commencent tout juste à rembourser leur prêt Covid qu’on leur impose ce type de défilés quasiment tous les weekends. Sans oublier la fermeture annoncée du Grand-Pont et les travaux de la gare. En gros, il sera bientôt impossible de venir au centre-ville.» Installé dans les «Garages» du Flon, Pierre Grundlehner, le patron de Bibovino, abonde: «Beaucoup de personnes ne souhaitent plus faire leurs courses à Lausanne. Dès qu’un défilé commence, les clients partent et ça bouchonne de partout. Heureusement que nous avons un site internet qui nous sauve car le commerce de proximité est sérieusement mis à mal.»

Effet de rattrapage

Le constat des commerçants, quant à la multiplication des manifs en centre-ville, se retrouve dans les statistiques qui nous ont été fournies par la Ville. Depuis le début de l’année, 78 autorisations ont été délivrées. Un chiffre qui s’explique selon Pierre-Antoine Hildbrand, municipal en charge de la sécurité et de l’économie: «La pandémie a fait diminuer le nombre de manifestations politiques durant ces deux dernières années et nous assistons à une sorte de «rattrapage» de la part de certains collectifs. On constate également une volonté de «convergence des luttes» qui fait que le public non impliqué a parfois l’impression que ce sont toujours les mêmes qui manifestent et pour des motifs relativement semblables. La Municipalité est attachée aux principes permettant aux opinions divergentes de s’exprimer.» Sollicité pour répondre à nos questions, le mouvement «Prenons la rue», l’un des derniers à avoir défilé, n’a pas donné suite à notre requête. Contrairement au collectif «Education sans certificat (ESC)» qui regroupe des étudiants opposés au pass sanitaire à l’EPFL et à l’UNIL: «Nous n’avons organisé qu’une seule manifestation, qui est restée dans les zones piétonnes et n’a pas perturbé le trafic. Le droit de manifester pacifiquement, même sans autorisation, est un droit garanti par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, les villes sont le meilleur endroit pour en organiser, si on faisait ça dans un champ à la campagne, l’impact serait certainement plus limité. Faire du bruit et défiler est encore un des moyens les plus efficaces pour attirer l’attention sur notre cause et notre exaspération.» Une exaspération des manifestants qui fait écho à celle des habitants…

Transports publics impactés

«Si nous voulons privilégier la mobilité en transports en commun, il faut arrêter de les immobiliser, les retarder et les dévier». Ernest Priarollo dénonce l’autre impact des manifestations au centre-ville: la perturbation des transports publics. Un impact savamment calculé par les organisateurs selon Alexandra Gindroz, porte-parole des Transports publics de la région lausannoise (TL): «Nous proposons des solutions alternatives pour éviter les grands axes, mais les organisateurs souhaitent justement passer dans les rues les plus passantes car cela augmente leur visibilité et leur impact. La décision finale appartient aux autorités politiques.» Et Pierre-Antoine Hildbrand, municipal en charge de la sécurité et de l’économie, de préciser: «Le parcours souhaité fait l’objet de discussions afin de trouver un compromis acceptable. Les nuisances que peuvent rencontrer les usagers ne participant pas à la manifestation est également un point central de ces séances. Tous les organisateurs n’y sont toutefois pas sensibles.»