La photo qui enflamme le monde des protestants vaudois

  • La photo de deux homos nus et entrelacés parue dans le mensuel «Réformés» sème le désarroi chez les protestants vaudois.
  • Beaucoup évoquent une démarche offensante, voire blasphématoire et sacrilège.
  • Le co-rédacteur en chef du journal parle lui de dignité plutôt que de provocation et rejette toute intention d’avoir voulu choquer.

  •  La double-page parue dans le journal «Réformés».

    La double-page parue dans le journal «Réformés».

  •  La double-page parue dans le journal «Réformés». dr

    La double-page parue dans le journal «Réformés». dr

«Son côté choquant dessert la cause qu’elle est censée défendre. »

Michel Kocher, de Médias-pro, le département chargé de la gestion des médias au nom des Eglises réformées de Suisse romande.

Choqués, scandalisés, indignés ou écœurés: les jours passent, la polémique, elle, continue d’agiter le landerneau du protestantisme vaudois. A l’origine de celle-ci, la publication dans les pages du mensuel «Réformés», le journal des Eglises réformées de Genève, Vaud, Neuchâtel, Berne francophone et Jura, d’une photo illustrant un dossier consacré à l’accueil, par l’Eglise, de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et inter sexe (LGBTI). Ce qu’on y voit? Une image réalisée par l’artiste suédoise Elisabeth Ohlson Wallin: deux hommes nus et enlacés. L’un d’eux a les bras en croix.

«Il n’a jamais été question de faire de la provocation et je suis sincère devant Dieu en disant ça» explique Gilles Bourquin, théologien et corédacteur en chef de «Réformés». «Cette photographie montre simplement la dignité de la relation homosexuelle. Il y a de la noblesse dans ces deux corps qui se touchent avec tendresse. Ces hommes ont rejeté tout racisme. Un blanc embrasse un noir. Ainsi perçu, ce couple est honorable. Que le corps humain nu, masculin ou féminin, puisse avoir une beauté esthétique, c’est là un enseignement fondamental de l’art à toutes les époques et dans toutes les cultures de l’humanité.» Des propos qui font écho à l’éditorial publié par la responsable du dossier incriminé, Marie Destraz: «Notre journal a pour ambition de diffuser une information ouverte sur le monde, soucieux des particularités éthiques et sociales de notre temps. Le «cas LGBTI» est non seulement une préoccupation de la société actuelle, mais il est aussi une réalité du protestantisme. Ces chrétiens n’ont pas attendu les Eglises pour vivre leur foi à distance. Aujourd’hui, ils aimeraient remettre un pied chez eux sans craindre d’y être jugés ou réduits à leur identité sexuelle.»

Plusieurs clés de lecture

Seulement voilà, le message a bien du mal à passer auprès de nombreux protestants qui jugent cette photo offensante, blasphématoire, sacrilège ou encore scandaleuse. Tout particulièrement parmi ceux du canton du Vaud où les réactions ont été les plus virulentes. «A titre personnel, elle m’a dérangé», note ainsi Michel Kocher, le directeur de Médias-pro, à Lausanne, le département chargé de la gestion des médias au nom des Eglises réformées de Suisse romande. «Pas par son idée de base, qui est louable, mais par son côté choquant qui dessert la cause qu’elle est censée défendre. Ceci d’autant plus qu’elle a plein de niveaux de lecture différents propres à embrouiller le lecteur.» Et Michel Kocher de donner l’exemple de sa propre femme, d’origine rwandaise: «Ce qui l’a frappée, ce n’est pas tant la photo en elle-même qui est esthétiquement très belle, mais le fait que le noir est en dessous du blanc et apparaisse ainsi comme une personne dominée.»

En ce qui concerne le fait que les réactions ont été beaucoup plus tranchées et virulentes dans le canton de Vaud, Michel Kocher n’est pas surpris: «En Suisse romande, note-t-il, seule l’Eglise réformée du canton de Vaud a véritablement mené un débat sur la place de l’homosexualité au sein de son Eglise. Ce qui n’est ni le cas à Genève, à Neuchâtel ou encore dans le Jura.» Et de préciser: «Cette discussion a parfois été dure et suscité la création de deux fronts distincts dont l’un, le minoritaire issu de la frange évangélique, opposé à l’idée d’ouverture, est solidement constituée et n’hésite pas répondre à tout ce qu’il considère comme des provocations dans ce domaine.»

Une récupération de la foi

«Il faut effectivement s’élever contre toute discrimination, mais je trouve choquant qu’on ait utilisé une image christique pour défendre la cause homosexuelle» avance pour sa part Gérard Pella. «Il y a là une récupération de la foi chrétienne qui blesse mes convictions.» Pasteur et membre du comité exécutif de R3, le Rassemblement pour un renouveau réformé, il estime par ailleurs que le dossier présenté dans «Réformés» est orienté: «Dans une église pluraliste, toutes les voix doivent se faire entendre. Or, dans le cas présent, ce dossier ne fait que plaider en faveur de la cause homosexuelle». Et de préciser: «Il n’a pas heurté seulement le courant évangélique de l’Eglise réformée, mais a fait aussi beaucoup de dégâts chez les protestants dits classiques. Avec deux risques majeurs: ridiculiser la foi chrétienne dans le grand public et voir beaucoup de fidèles quitter l’église réformée pour rejoindre les églises évangéliques.»

Ce à quoi Gilles Bourquin répond: «La défense des droits des LGBTI et l’apprentissage de leur respect font partie du chemin de l’humanité vers la liberté. Sur toute la planète, les individus sont appelés à construire leur identité sexuelle librement face aux préjugés et aux mépris sociaux. Dans ce combat pour la liberté, nous sommes appelés à persévérer quelles que soient les résistances. Selon le christianisme, la liberté n’est-elle pas le plus haut degré de l’évolution de l’homme en Dieu?»