Lausannois, et si vous faisiez un effort?

Avec le développement de la vente à emporter, les poubelles publiques débordent de déchets.
En partenariat avec GastroLausanne, la Ville met pourtant à disposition des boîtes réutilisables.
Les consommateurs doivent changer leurs habitudes, ce qui est loin d’être acquis.

  • Depuis le début de la pandémie et l’explosion de la vente à l’emporter, les poubelles débordent et les incivilités augmentent. VERISSIMO

    Depuis le début de la pandémie et l’explosion de la vente à l’emporter, les poubelles débordent et les incivilités augmentent. VERISSIMO

«Les consommateurs doivent jouer le jeu en faisant évoluer leurs habitudes »

Samira Dubart, déléguée au développement durable

Avec la fermeture des restaurants, la vente à l’emporter connaît un succès sans précédent. Pour les restaurateurs c’est un moyen de limiter la casse économique, et pour les consommateurs, elle représente une possibilité de se sustenter correctement non loin de son lieu de travail et le soir, de préserver un brin de convivialité. Seulement voilà: cette nouvelle tendance à un coût, et il est écologique puisque ces plats à emporter sont le plus souvent empaquetés dans des emballages en plastiques jetables. Au point que les poubelles situées dans l’espace public en débordent. «En effet, les poubelles de rue situées à proximité d’établissements de restauration qui procèdent à la vente à l’emporter sont davantage sollicitées en ce moment, en lien avec la fermeture des restaurants, confirme Stéphane Beaudinot, chef du service de la propreté urbaine. Nous avons immédiatement adapté notre logistique pour répondre à cette situation exceptionnelle».

Suisses, mauvais élèves

Selon Greenpeace, les Suisses sont ainsi les troisièmes plus grands producteurs de plastique en Europe, chaque habitant générant environ 100 kg par an, soit le triple de la moyenne européenne. «Il est important de soutenir les restaurateurs en cette période de pandémie, mais sans négliger l’environnement. Il faut sortir au plus vite de la culture du tout jetable et se tourner vers des solutions réutilisables, observe Fanny Eternod, porte-parole de l’ONG qui vient d’ailleurs de lancer une campagne de sensibilisation à ce propos. Et si l’on pense remplacer le plastique à usage unique par d’autres matériaux, comme le carton par exemple, on ne fait que déplacer le problème: pour obtenir du carton, il faut raser des forêts!» Sauf qu’en Suisse, et contrairement à l’Union européenne, le Conseil fédéral n’a pas légiféré pour que l’usage des contenus réutilisables devienne la norme. Résultat: les avancées se font plutôt au niveau local.

L’exemple lausannois

La Ville de Lausanne par exemple a lancé l’année dernière, le programme Restobox, qui propose un système de contenant à usages multiples grâce à un réseau de restaurants/take away proposant des ventes à emporter. Moyennant une consigne, l’usager peut donc obtenir une boîte réutilisable qu’il pourra conserver ou ramener n’importe où dans le réseau des restaurants. Un réseau mis en place grâce à un partenariat avec GastroLausanne, l’association faîtière des restaurateurs lausannois. «Dans la région, nous avons déjà près de 120 restaurants partenaires, se réjouit ainsi Susan Sax. Nous nous sommes engagés dans ce projet car un effort commun est indispensable pour diminuer les emballages liés aux plats à emporter».

Des résultats encourageants

Municipale en charge de l’environnement, Natacha Litzistorf salue ainsi le partenariat avec GastroLausanne. «Ce projet fait du du sens pour contribuer concrètement et efficacement à la lutte contre l’usage de plastique à usage unique. Il était pertinent avant la crise Covid, il l’est encore plus aujourd’hui».

Une année après son lancement, et en dépit de la pandémie qui a perturbé sa mise en place, Restobox donne des résultats extrêmement encourageants: «Entre le premier juin 2019 et le 18 novembre 2020, ce sont plus de 55’000 box ReCircle réutilisables qui ont été mises en circulation, révèle Samira Dubart, déléguée au développement durable de la Ville et responsable du projet. L’action permet ainsi d’économiser environ 3’439’063 barquettes jetables à usage unique par an, ce qui représente une économie annuelle de 68’781 sacs poubelles de 35 litres et 344 tonnes CO2 économisées par an».«Ce projet est à saluer car il est porté par le public, la Ville et par le privé, GastroLausanne, sur une base volontaire, ce qui est toujours plus efficace, à long terme, que la contrainte ou les taxes», ajoute Natacha Litzistorf. Sauf que pour l’heure la base volontaire côté consommateurs, ne suffit pas comme en témoigne la surcharge des poubelles municipales, liée à l’usage encore intensif des emballages jetables. «Les premiers résultats sur un an sont certes encourageants, note Samira Dubart, mais nous n’en sommes qu’au début. Cela passe par le développement du réseau de restaurateurs présents sur le sol communal pour que l’emballage réutilisable devienne la norme. Mais évidemment, en bout de chaîne, il faut que les consommateurs jouent le jeu.»

Boîtes réutilisables et consignées

A 10 francs la boîte consignée, l’addition supplémentaire peut paraître lourde pour un consommateur qui achète par exemple 5 plats à emporter. Mais en réalité, la boîte ainsi achetée lui appartient et il peut l’utiliser autant qu’il veut dans le réseau Restobox en la ramenant et en reprenant une autre à chaque fois. «La consigne est une garantie que la boîte ne finisse pas à la poubelle ou dans un tiroir et qu’elle soit donc réinsérée dans le réseau des contenants en circulation, explique Samira Dubart, déléguée au développement durable de la Ville. A moyen terme, il n’y a pas d’autre solution, d’autant qu’il y a une économie de coût pour les restaurateurs et les clients qui ne se voient pas facturer l’emballage jetable dans leur addition finale; c’est aussi une manière d’indiquer au consommateur que les professionnels de la restauration offrent une prestation durable et intelligente». Sans oublier un détail non négligeable: le consommateur n’est pas obligé d’utiliser les boîtes fournies par Restobox et peut tout à fait amener son propre contenant.

Des paroles aux actes, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Lausanne, ville de gauche, bobo bien pensante, écolo, ouverte, progressiste... Le cliché a la vie dure, étayé à juste titre par les comportements électoraux de ses concitoyens, votation après votation. Mais ce n’est pas tout: dans les rues de la ville prolifèrent les enseignes de restauration végane, les magasins de produits bio ou en vrac, socialement responsables. Année après année, les mesures anti-voitures sont plébiscitées, tandis que la place dévolue à la mobilité douce, aux vélos donc, ne cesse d’augmenter. Avec au final, une ville propre sur elle, agréable à vivre, dans une ambiance paisible et bon enfant.

Propre sur elle? Pas tout à fait. A la faveur de la pandémie et de la fermeture des restaurants, la vente à l’emporter a explosé. Et avec elle, l’accumulation de déchets aux alentours, faisant par endroits ressembler nos rues à un véritable dépottoir. Partout, les parcs, les artères, les places situés non loin d’établissements de restauration sont jonchés d’immondices, emballages en carton et en plastique débordant des nombreuses poubelles pourtant placées à proximité (lire notre article ci-contre). Le Service de la propreté urbaine de la Ville a beau faire ce qu’il peut, en multipliant les collectes rien n’y fait: les déchets, tels un tonneau des Danaïdes contemporain, continuent inexorablement à s’accumuler...

Une solution simple et efficace existe pourtant: avoir systématiquement recours aux emballages réutilisables. D’autant que les restaurateurs et la Ville sont parties prenantes d’un programme lancé il y a maintenant une année et qui vise à mettre à disposition de tous des boîtes réutilisables à l’envi.

Seulement voilà: les belles professions de foi écolo n’ont de sens que si elles sont suivies d’actes et d’effets. Les autorités ont fait leur part, les restaurateurs la leur - grâce leur en soit rendue en cette période éminemment chahutée pour eux -, il appartient donc maintenant aux consommateurs de prendre leurs responsabilités et de modifier leurs comportements, histoire de montrer que l’on peut être bobo sans être cochon pour autant.