«C’est un cas typique où la prohibition des drogues fait plus de dommages que les drogues elles-mêmes»
Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions
Récemment arrivé sur le marché noir lausannois, le cannabis synthétique est d’abord une arnaque. «Le consommateur croit acheter du cannabis classique, mais il s’agit en fait de CBD sur lequel on a sprayé des cannabinoïdes synthétiques, précise Pierre Esseiva, professeur en sciences criminelles à l’Université de Lausanne. Pour le dealer, c’est un business extrêmement juteux, car le kilo de CBD coûte environ 400 francs alors que celui de cannabis s’élève à 4000 francs. En gros, sa marge est décuplée. Mais attention, car ce cocktail est au minimum dix fois plus puissant et les effets viennent plus rapidement.» Un avis partagé par Frank Zobel, vice-directeur d’Addic -tion Suisse: «Selon les molécules utilisées, il peut être beaucoup plus puissant que le THC du cannabis, ce qui signifie que la question du dosage est essentielle. Or, si on spraye ces produits n’importe comment, le consommateur peut être exposé à de fortes doses qui peuvent être très dangereuses.»
Tachycardie et hallucinations
Cette dangerosité, Jean-Marc*, un consommateur régulier de cannabis habitant la région lausannoise, l’a expérimentée à ses dépens: «Après avoir commencé à fumer mon joint, je me suis très rapidement senti mal. J’ai vraiment cru que ma dernière heure était arrivée. Mes amis ont dû m’emmener aux urgences car ils ont paniqué quand j’ai commencé à avoir des hallucinations et de la tachycardie. Franchement, c’est vraiment une substance flippante et le pire dans tout ça, c’est qu’elle est absolument identique au cannabis classique. Visuellement, mais aussi au niveau de l’odeur. Je connais de plus en plus d’amis qui se font berner.» Ce phénomène n’étonne pas vraiment Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions (GREA): «La production et le contrôle des substances sont confiés à des organisations criminelles. Celles-ci s’intéressent au profit, pas à la santé publique. C’est un cas typique où la prohibition des drogues fait plus de dommages que les drogues elles-mêmes.»
Le réflexe du drug checking
Généralement fabriqués en Asie et faciles à se procurer sur Internet, les cannabinoïdes synthétiques obligent les milieux de la prévention à réagir. Ces derniers incitent les consommateurs à tester leurs produits dans l’un des drug checking de Suisse comme le rappelle Melody Guillaume, collaboratrice scientifique chez Infodrog, la centrale nationale de coordination des addictions: «L’analyse en laboratoire est la seule possibilité pour détecter le type et la présence de cannabinoïdes synthétiques.» Plus que jamais la vigilance doit donc être de mise car même s’il n’a pas encore massivement infiltré le marché de la drogue lausannois, le cannabis synthétique fait déjà des ravages sur la santé de certains consommateurs…
*prénom fictif, identité connue de la rédaction