Le raciste Louis Agassiz garde son avenue à Lausanne

La Municipalité vient de trancher, suite à une interpellation déposée par les conseillers communaux Vincent Brayer et Alice Genoud.

L’avenue Louis-Agassiz continuera de porter le nom de ce scientifique controversé aux idées racistes avérées.

Un panneau explicatif de contextualisation sera ajouté dans la rue. Problème: le projet de texte fait déjà polémique.

  • En mars 2008 déjà à Lausanne, l’historien Hans Fässler militait pour faire connaître les idées racistes de Louis Agassiz. DR

    En mars 2008 déjà à Lausanne, l’historien Hans Fässler militait pour faire connaître les idées racistes de Louis Agassiz. DR

«Conserverait-on aujourd’hui une rue au nom d’un scientifique nazi sous prétexte de son apport à la science?»

André Loembe, vice-président du Carrefour de Réflexion et d’Action Contre le Racisme Anti-Noir

La Municipalité serait-elle à côté de la plaque? Sa récente décision, en réponse à une interpellation du conseiller communal Vincent Brayer risque en tout cas de relancer la polémique sur un sujet on ne peut plus délicat, comme toujours lorsqu’il s’agit de racisme, d’histoire et de mémoire collective. A l’instar de près de 70 lieux, édifices, monuments, sites naturels dans le monde, dont une grande majorité en Suisse, Lausanne dispose d’une rue Louis-Agassiz, en l’honneur de ce glaciologue et co-fondateur de l’université de Neuchâtel. Seulement voilà, ce naturaliste et médecin émérite né à Môtiers en 1807 et décédé aux Etats-Unis défendait des idées particulièrement nauséabondes, racistes et axées sur «l’infériorité de la race noire».

Est-il donc acceptable qu’au 21ème siècle, l’on puisse encore conserver certaines de nos rues baptisées de son nom? Non, a estimé Neuchâtel qui a débaptisé son espace Louis-Agassiz pour lui attribuer le nom de Tilo Frey, pionnière de l’émancipation des femmes et des minorités, élue en 1971 au parlement fédéral, et... métisse.

A Lausanne, l’existence d’une avenue Louis-Agassiz a ému les conseillers communaux Vincent Brayer et Alice Genoud qui, le 2 octobre dernier, ont déposé une interpellation intitulée «Ces noms de rue hérités du passé à requestionner».

Une interpellation à laquelle la Municipalité vient de répondre de manière circonstanciée en faisant le choix d’un compromis bien vaudois: l’avenue conservera sa dénomination actuelle mais la Ville entend y poser, à côté de la plaque, un panneau complémentaire explicatif.

«Même si c’est un minimum, un panneau additionnel me convient très bien réagit Vincent Brayer. Mais une réflexion globale devrait être engagée sur des critères clairs et objectifs pour savoir quand et si le nom d’une rue doit être conservé ou pas».

«Caution douloureuse»

Sans surprise, le choix de la Municipalité est dénoncé par le CRAN le Carrefour de Réflexion et d’Action Contre le Racisme Anti-Noir, fondé à Berne en 2002. «Je ne pense pas que ce soit une bonne décision, s’insurge André Loembe, vice président du CRAN. La rupture avec le passé doit être marquée y compris dans l’espace public et conserver son nom est une sorte de caution très douloureuse à ce que ce personnage a fait. Le respect de la dignité humaine doit passer au dessus de toute considération scientifique. Conserverait-on aujourd’hui une rue au nom d’un scientifique nazi sous prétexte de son apport à la science? Franchement, cela aurait été plus courageux sur les plans intellectuel et politique de ne plus cautionner cela!».

Du côté des historiens, en revanche, le débat est nettement plus nuancé. Le Lausannois Bruno Corthésy estime ainsi que les deux démarches - débaptiser une rue ou la contextualiser par une plaque explicative - se défendent. Et de préciser: «Le risque, quand on débaptise une rue, c’est que l’on fait disparaître jusqu’à l’idée qu’à un moment on a pu honorer ce genre de personnes, ce qui revient aussi à occulter une partie de l’histoire».

Même son de cloche du côté de l’historien et homme politique socialiste saint-gallois Hans Fässler, qui a consacré de nombreuses recherches à Louis Agassiz et lancé il y a 12 ans déjà, une campagne intitulée «Démonter Louis Agassiz» destinée à dénoncer ses idées racistes et obtenir que le pic situé dans les Alpes bernoises - qui porte d’ailleurs encore son nom-, soit débaptisé.

«Evidemment, les deux approches se défendent, soutient-il. Contrairement à ce que disent mes adversaires, mon but n’a jamais été de nettoyer le monde de toute trace de Louis Agassiz, mais de rendre son racisme viscéral visible. Pour moi, contextualiser un endroit nommé d’après une personne avec un passé funeste est toujours une possibilité.»

Projet controversé

Reste qu’évidemment la polémique risque bel et bien de se déplacer sur... le contenu du texte que la Municipalité entend apposer dans cette rue au nom si controversé. Car déjà, le projet actuel proposé par la Ville suscite une vive réaction de Hans Fässler qui ne cache pas sa réprobation: «Un panneau d’information peut servir l’objectif de contextualisation, mais le texte doit être bien rédigé, correctement et selon les connaissances scientifiques actuelles. Or ce qui n’est pas le cas: le projet proposé contient des erreurs historiques et politiques majeures».